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Le rapport d’information sur l’application de la loi n°2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite « loi Descrozaille », a été publié le mercredi 20 mars 2024, soit presqu’un an après l’entrée en vigueur de ladite loi.

Un an après son entrée en vigueur et à l’issue des premières négociations commerciales faisant application de ses dispositions, quels sont les premiers éléments d’analyse des effets de la loi Descrozaille ? Mais surtout, dans le contexte actuel de crise agricole et aux prémices des discussions autour d’une éventuelle loi Egalim 4, quels enseignements tirer de ces premiers mois d’application ?

Sans prétendre faire le bilan de la loi Descrozaille – lequel serait trop anticipé, à peine un an après son entrée en vigueur – ce rapport d’information, présenté par les députés Frédéric Descrozaille et Aurélie Trouvé, fournit de premiers éléments d’analyse des effets de la loi et recense la publication des textes réglementaires prévus par la loi.

Rappelons que la loi Descrozaille, dans la droite ligne des lois Egalim 1 et 2, avait pour ambition de « corriger le déséquilibre structurel dans lequel sont placés les acteurs de l’industrie vis-à-vis de leurs acheteurs »[1]en complétant et en adaptant l’encadrement des négociations commerciales.

Chacun l’aura compris, les premiers résultats d’application des dispositions introduites par la loi Descrozaille et les recommandations formulées par les rapporteurs s’inscrivent pleinement dans le cadre des travaux parlementaires en cours sur le futur droit des négociations commerciales[2].

C’est donc sans surprise que sont abordés aux termes de ce rapport la question du recours par les distributeurs aux centrales d’achat à l’étranger et la stratégie de contournement des dispositions françaises (1.), la controverse autour du relèvement du seuil de revente à perte (2.), la crise de la demande affectant les produits issus de l’agriculture biologique (3.), le contexte tendu des dernières négociations commerciales (4.), les dispositions relatives aux pénalités logistiques (5.), ainsi que  le champ d’application de l’obligation de prévoir une clause de renégociation du prix des contrats (6.).

  1. « Le contournement de l’application du droit français relatif aux négociations commerciales par le recours à des centrales d’achat implantés à l’étranger continue à prospérer en dépit de l’article 1er »[3] 
L’article L.444-1 A du Code de commerce, introduit par l’article 1er de la loi Descrozaille, consacre le caractère d’ordre public des dispositions du code de commerce relatives à la négociation commerciale et affirme la compétence du juge français pour statuer sur les litiges relatifs à l’application de ces règles. L’objectif à travers l’introduction de cette disposition était de contrer les stratégies de contournement du droit applicable en France mises en place par les distributeurs via le recours à des centrales d’achat implantées à l’étranger.

Un an après, le constat fait par les rapporteurs ne surprend personne : les distributeurs continuent de négocier via des centrales d’achat implantées à l’étranger avec leurs fournisseurs les plus importants. Et le recours aux centrales d’achats implantées à l’étranger semble même aujourd’hui s’être amplifié puisque 40 à 50% des volumes vendus par la grande distribution en France seraient désormais négociés par des centrales étrangères. Sous prétexte de gagner en puissance d’achat, ces distributeurs continuent en réalité, à travers la délocalisation de leurs négociations, à contourner l’application des dispositions françaises.

Face à ce constat, les rapporteurs appellent (i) à un renforcement des moyens de contrôle de la DGCCRF et de ses services déconcentrés, aujourd’hui insuffisants pour réaliser des contrôles adéquats, et (ii) au prononcé de sanctions dissuasives, enjoignant par la même occasion à l’administration de cesser de faire preuve de prudence en la matière.

Soulignons que ces recommandations s’inscrivent dans la droite ligne du récent arrêt du 21 février 2024 rendu dans l’affaire « EURELEC », aux termes duquel la Cour d’appel de Paris a confirmé la compétence des juridictions françaises pour connaître de l’action du ministre de l’Économie afin d’obtenir le prononcé d’une amende et la cessation de pratiques restrictives de concurrence qui auraient été mises en œuvre par la société belge EURELEC à l’égard de fournisseurs établis en France[4].

Outre le fait de rendreinapplicable aux fruits et légumes frais la majoration de 10% du seuil de revente à perte (« SRP +10 »), l’article 2 de la loi Descrozaille prévoit la remise, avant le 1er octobre de chaque année, d’un rapport par le Gouvernement au Parlement évaluant les effets du SRP + 10.

Pour rappel, la question de l’effectivité de ce dispositif introduit au lendemain de la loi Egalim 1, avait été largement débattue au cours de l’élaboration de la loi Descrozaille. En effet, si la proposition de loi initiale envisageait une prorogation du dispositif sans date de fin, le Sénat, décriant son inefficacité, avait envisagé sa suspension jusqu’en janvier 2025. Finalement, un compromis a été trouvé en Commission Mixte Paritaire : la prorogation de l’expérimentation du SRP + 10 a été prorogée jusqu’en avril 2025 et la remise chaque année d’un rapport « présentant notamment les effets relatifs au SRP majoré et évaluant la création de valeur résultant de cette mesure »[6].

À ce jour, le rapport d’évaluation des effets du SRP + 10, attendu pour octobre 2023, n’a pas été transmis au Parlement. Sont avancées pour justifier ce retard, les difficultés rencontrées par les distributeurs pour réaliser l’analyse d’impact sur 2023 du surplus de chiffre d’affaires résultant du relèvement du seuil de revente à perte et de la part ayant pu revenir aux fournisseurs.

À nouveau, la question de l’usage des marges créées par le SRP+ 10 et par voie de conséquence, de l’effectivité de ce dispositif, se pose. Il n’en reste pas moins que, comme le soulignent les rapporteurs, il conviendra de remédier à ces difficultés afin d’éclairer le législateur sur les effets du SRP + 10 avant sa fin, prévue en avril 2025.
L’article 6 de la loi Descrozaille prévoyait la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur l’encadrement des marges des distributeurs pour les produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine (« SIQO »).

Ce rapport sur l’encadrement des marges, prévu pour juillet 2023 et qui n’a été transmis au Parlement que le 8 mars 2024, avait notamment pour objet de mettre en lumière la politique de prix pratiquée par la grande distribution pour ces produits sous SIQO.

Aux termes de ce rapport, le Gouvernement a constaté (i) une diminution notable des ventes des produits issus de la filière biologique révélant ainsi une « crise de la demande dans la filière bio dont il convient de comprendre l’origine »[8] ainsi que (ii) des marges pratiquées par les distributeurs sur ces produits SIQO supérieures à celles pratiquées sur des produits conventionnels.

Pour autant, le rapport conclut – non sans émettre des réserves sur l’opacité des informations renseignées par les distributeurs sur leurs marges – à l’absence de pratique systématique d’alourdissement des taux de marge appliqués aux produits sous SIQO, rendant ainsi a priori inefficace la mise en place d’un encadrement des marges des distributeurs sur ces produits.

À ce titre, les rapporteurs insistent fermement sur la recommandation du rapport du Gouvernement s’agissant de l’effort de transparence sur les marges des produits sous SIQO, lequel passerait notamment par un effort statistique important des différents acteurs des filières.
Pour mémoire, les dispositions expérimentales introduites par l’article 9 de la loi Descrozaille permettent en substance au fournisseur, en l’absence d’accord à la date butoir, de mettre fin à la relation commerciale sans préavis sans que puisse être invoquée la rupture brutale des relations commerciales établies.

Sans tirer de conclusions hâtives sur ce dispositif expérimental, les rapporteurs constatent néanmoins que contrairement à ce qui avait pu être avancé par certains, son application n’a pas semblé poser de difficulté particulière aux différents acteurs. Le rapport souligne que « quelques PME ou ETI ont pu se saisir, face à un échec de la négociation, de la possibilité de mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur »[10].

L’application des dispositions de l’article 15 de la loi Descrozaille qui prévoit dans le cadre de l’option n°3 l’intervention d’un tiers indépendant pour certifier la part de l’évolution du tarif qui résulte de l’évolution du coût de la matière agricole, soulève des questions.

Le rapport souligne que le choix de cette option par les industriels ferait obstacle à la construction de clauses de révision efficaces. En effet, comment établir une clause de révision sans avoir un minimum d’informations et notamment sur la part que représentent les différentes matières premières agricoles entrant dans la composition des produits ?

Parmi les solutions envisagées en réponse à ces difficultés, ont notamment été évoquées par le Médiateur des relations commerciales agricoles la suppression de l’option n°3 et la construction des clauses de révision automatiques des prix par les fournisseurs eux-mêmes que ces derniers feraient alors figurer dans leurs CGV.

Une attention particulière devra être portée à ces solutions dans le cadre de la mission d’évaluation de la loi Egalim 2 dont les travaux débutent au sein de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. 

Enfin, un premier bilan sur l’avancée de la date butoir des négociations commerciales 2024 est dressé et c’est là encore sans grande surprise que les rapporteurs soulignent le climat tendu, voir agressif, des négociations commerciales 2024.

L’avancée du calendrier des négociations commerciales pour 2024, en application de la loi du 17 novembre 2023, a contraint les fournisseurs à anticiper l’envoi de leurs CGV et lorsque cet envoi a pu être anticipé, il a eu lieu avant la conclusion des contrats amont avec les producteurs agricoles « brisant ainsi la marche en avant du prix voulue par les lois Egalim »[11].

Par ailleurs, la distinction opérée entre les fournisseurs en fonction du chiffre d’affaires réalisé pour l’application des dates anticipées de signature des accords 2024 a été décriée. Si à travers cette distinction, l’objectif du législateur était d’éviter une distorsion de concurrence en défaveur des PME et ETI françaises en leur permettant de conclure leurs accords avant les grands groupes[12], en pratique, seule une cinquantaine d’entreprises a finalement été concernée par la seconde date de signature des accords prévue au 31 janvier.

Les articles 11 à 14 de la loi Descrozaille ont introduit aux articles L.441-17 et suivants du code de commerce des dispositions visant à renforcer le dispositif d’encadrement des pénalités logistiques mis en place par la loi Egalim 2.

Ces nouvelles dispositions ont été précisées par la DGCCRF dans le cadre de la mise à jour de ses lignes directrices en matière de pénalités logistiques en septembre 2023. Toutefois, les rapporteurs soulignent que l’interprétation retenue par la DGCCRF de certaines dispositions ne serait pas conforme à l’intention du législateur telle qu’elle ressort des débats parlementaires.

S’agissant en particulier de l’article 12 de la loi qui a introduit un plafond des pénalités logistiques fixé à « 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée », les rapporteurs semblent retenir une interprétation plus stricte de l’assiette de calcul de ce plafond de pénalités. En effet, alors que la DGCCRF conclut dans ses lignes directrices à une approche « au cas par cas » de la notion de « catégorie de produits » qui « ne peut être décidée à l’avance pour tous les cas de figure », pour les rapporteurs, le législateur entendait en réalité plafonner les pénalités à hauteur de 2% de la valeur, au sein de la commande, de la ligne de produits concernée par le manquement justifiant l’application de la pénalité.

Il est certain qu’après plusieurs mois de discussions sur cette notion de « catégorie de produits » aucunement définie par l’article L.441-17 du code de commerce, la position retenue par les rapporteurs s’inscrit à contre-pieds de celle jusqu’à présent retenue par les différents acteurs. Les rapporteurs appellent à une correction des lignes directrices sur ce point.
L’article 20 de la loi Descrozaille prévoit la possibilité pour le ministre de l’Agriculture de prévoir, pour certains produits agricoles et alimentaires, leur exclusion de l’obligation de prévoir une clause de renégociation du prix du contrat en application de l’article L.441-8 du code de commerce.

En application de cette disposition, un arrêté a été pris le 31 juillet 2023 et modifié par un nouvel arrêté le 15 février 2024 pour exclure certaines catégories de produits (par exemple les filières céréales et vitiniculture).

Cette exclusion apparait pertinente notamment pour les filières dans lesquelles les contrats bénéficient d’outils de gestion du risque de fluctuation des prix et pour lesquelles de telles clauses viendraient mettre en péril le bon fonctionnement de ces outils de couverture du risque.

* * *

Un an après l’entrée en vigueur des dispositions de la loi Descrozaille, ce premier rapport sur l’application de ses dispositions nous apparait être en demi-teinte.

Le constat des rapporteurs est clair : certaines dispositions phares et mesures prises par la loi sont bafouées, mal appliquées voire inappliquées, de sorte qu’aujourd’hui la réalisation des objectifs de la loi semble encore lointaine. Or, et ainsi que le soulignent les rapporteurs, « [la] quête simultanée d’une meilleure rémunération des agriculteurs et d’une préservation du pouvoir d’achat des Français rend plus que jamais indispensables la bonne application des mécanismes de régulation de la négociation commerciale et l’attention portée à l’absence de comportement destructeur de valeur tout au long de la chaîne de production »[15].

Il est certain que ces premiers éléments d’analyse des effets de la loi seront pris en considération lors des futurs travaux législatifs.


[1]      Rapport de la Commission des Affaires Economiques de l’Assemblée nationale, 11 janvier 2023, p. 5.

[2]      Le 22 février 2024, le Premier ministre a désigné Anne-Laure Babault et Alexis Izard pour réaliser une mission parlementaire afin d’évaluer une potentielle évolution du cadre législatif et réglementaire des lois Egalim et, plus globalement, des négociations commerciales.

[3]      Rapport d’information de la loi Descrozaille, p. 9.

[4]      Cour d’appel de Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 février 2024, n° 21/09001.

[5]      Rapport d’information de la loi Descrozaille, p. 14.

[6]      Rapport de la Commission Mixte Paritaire du 15 mars 2023, p. 12.

[7]      Rapport d’information de la loi Descrozaille, p. 15.

[8]      Rapport d’information de la loi Descrozaille, p. 16.

[9]      Rapport d’information de la loi Descrozaille, p. 17.

[10]    Ibid.

[11]    Rapport d’information de la loi Descrozaille, p. 19.

[12]    Amendement n°71, déposé par l’Assemblée nationale le 5 octobre 2023 : « Cet amendement vise néanmoins à attirer l’attention du Gouvernement sur la nécessité pour les PME et les ETI de conclure leurs conventions annuelles avant les grands groupes, afin de préserver notre tissu industriel, nos emplois et notre souveraineté alimentaire. »

[13]    Rapport d’information de la loi Descrozaille, p. 19.

[14]    Rapport d’information de la loi Descrozaille, p. 21.

[15]    Rapport d’information de la loi Descrozaille, p. 19.

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