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La décision de concentration Fnac / Darty et la prise en compte, pour la première fois par l’Autorité de la concurrence, des ventes en ligne dans le cadre de l’analyse du marché aval de la distribution des produits électroniques.

L’Autorité de la concurrence (« l’Autorité ») a autorisé le 27 juillet 2016, sous réserve d’engagements de cessions de magasins, l’acquisition de Darty par la Fnac, tous deux actifs dans le secteur de la distribution de produits électroniques.

Cette décision a été rendue à l’issue d’une procédure qui a duré plus de 5 mois à compter de la notification déclarée complète le 17 février 2016, et sans doute plus de 8 mois en pratique si l’on prend en compte le fait que la préparation du formulaire de concentration a dû commencer, au plus tard, le jour du lancement de l’offre boursière initiée le 20 novembre 2015.

Dans cette affaire, l’analyse concurrentielle des marchés amont de l’approvisionnement en produits électrodomestiques n’a guère soulevé de difficultés, l’Autorité n’ayant pas relevé de renforcement problématique de la puissance d’achat de nature à générer des risques de dépendance économique des fournisseurs, au regard notamment du fort pouvoir de négociation de certaines d’entre eux de dimension mondiale (tels Apple et Samsung).

Pour autant, cette décision n’a été rendue qu’à l’issue d’une phase d’examen approfondie (dite « Phase II ») en raison de la détermination de la Fnac à vouloir prendre en compte les ventes en ligne dans l’analyse concurrentielle des marchés aval, s’écartant ipso facto de l’approche traditionnelle de l’Autorité en la matière, afin bien évidemment de baisser autant que possible ses parts de marché locales et ainsi « sauver » certains magasins du périmètre des engagements. Or, les lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de l’Autorité prévoient expressément le cas d’un passage en enquête approfondie si « l’analyse concurrentielle nécessite d’être approfondie, par exemple en ce qui concerne la définition des marchés pertinents » (§ 247), comme en l’espèce.

L’Autorité a pris en compte, au titre des points de vente physique, les grandes surfaces spécialisées (GSS) y compris les hard-discounts (tels Electro Dépôt), les magasins Apple Store, les grandes surfaces alimentaires (GSA) de plus de 10 000 m2 qui, de par leur taille, sont en mesure de présenter un assortiment comparable à celui d’une grande surface spécialisée ; elle a toutefois exclu les magasins de moins de 300 m2, quand bien même ils seraient exclusivement spécialisés en téléphonie, photo ou produits informatiques.

Cependant, le principal apport de cette décision réside dans le fait que, pour la première fois, l’Autorité a intégré dans un même marché aval de la vente au détail de produits électroniques, les ventes réalisées en magasin mais également celles en ligne. Ce faisant, l’Autorité a admis que la pression concurrentielle de la vente en ligne, qu’elle émane de pure players (comme Amazon ou Cdiscount) ou des sites internet des enseignes classiques de distribution, était devenue aujourd’hui incontournable pour être intégrée dans un même marché pertinent.

Les résultats du sondage réalisé par l’institut Ifop, au cours de la procédure de notification, militaient en effet clairement en ce sens, en particulier au regard de :

  • La pénétration des ventes en ligne en matière de produits électroniques constituant entre 20 et 30 % des ventes totales de ces produits ;
  • L’analogie des gammes de produits et des services offerts en magasins ;
  • L’uniformisation tarifaire croissante au sein des différents canaux de distribution ;
  • Le développement d’un modèle de distribution omnicanale, caractérisé par un passage de commande sur internet et un retrait du produit en magasin ; ou encore
  • Les taux significatifs de reports inter-canaux : dans l’hypothèse d’une augmentation des prix des produits bruns et/ou gris de 5 à 10 % par la nouvelle entité à l’issue de l’opération, les consommateurs se reporteraient majoritairement vers les pure players, les considérant ainsi comme des concurrents crédibles de la Fnac et Darty.

Cette porosité des canaux de vente admise, se posait alors la question de la définition d’une clé d’approche satisfaisante afin de prendre en compte la pression concurrentielle des ventes en ligne au niveau local, i.e. par rapport à celles réalisées dans les magasins physiques.

En l’espèce, et à l’exception de Paris intra-muros où un rayon de 3 km a été retenu, l’Autorité a défini les zones de chalandise à la fois selon, d’une part, la méthode des isochrones délimitées en fonction d’un temps de trajet déterminé, et, d’autre part, sur la méthode des empreintes réelles. Les activités des parties se chevauchaient alors dans 188 zones de chalandise délimitées autour des magasins Darty.

Puis, pour chacune de ces 188 zones identifiées, l’Autorité a estimé les parts de marché en intégrant les ventes en ligne « en supposant que les parts de marché locales de chaque enseigne sur le canal des ventes en ligne sont égales à leurs parts de marché nationales sur le segment de la vente en ligne ». Elle a ensuite considéré que le chiffre d’affaires total en ligne de chaque zone pouvait être « calculé en appliquant localement au chiffre d’affaires total en magasin le taux national de pénétration des ventes en ligne. Le chiffre d’affaires en ligne de chaque zone est ensuite affecté à chaque concurrent au prorata de ses parts de marché en ligne au niveau national, y compris pour les pure players, auxquels une part de marché locale est ainsi affectée au niveau local ».

La Fnac pour sa part avait proposé deux approches alternatives dont seule la seconde, dite « MB-International – MBI », a été considérée comme suffisamment fiable et ainsi été appliquée, en complément des estimations de l’Autorité. Cette approche consistait à calculer la part de marché des parties « en effectuant le rapport entre les ventes des parties aux consommateurs d’une zone de chalandise et les achats totaux des consommateurs domiciliés dans cette zone. » Cette méthode, permettait ainsi de tenir compte des ventes en ligne « sur les achats des consommateurs domiciliés dans une zone de chalandise, et non sur les ventes des magasins situés dans cette même zone ».

Pour les zones dans lesquelles les parts de marché cumulées des Parties étaient supérieures à 50 %, l’Autorité a alors évalué s’il existait néanmoins une pression concurrentielle suffisante, sur la base des critères suivants :

  1. Tout d’abord, le nombre de concurrents locaux : les magasins des concurrents présents dans la zone ont ainsi été répertoriés, tandis que les pure players ont été également et systématiquement pris en compte pour chaque zone ;
  2. Ensuite, leur proximité concurrentielle : un « score », compris entre 0,25 et 3, leur a été individuellement attribué pour refléter l’intensité de la pression concurrentielle entre eux. A titre d’exemple, les pure players dans leur ensemble et chaque magasin GSS présent dans la zone considérée se sont vus attribuer les scores les plus élevés de 3 ; à l’inverse, les groupements d’indépendants (Expert, Digital, Gitem/Euronics) et le magasin BHV ont obtenu le score plancher de 0,25.
  3. Enfin, leur proximité géographique : l’Autorité a pondéré le score de chaque magasin concurrent de la zone selon sa distance par rapport au magasin Darty cible, en le diminuant proportionnellement avec l’augmentation de la distance. Ainsi, un magasin concurrent très proche du magasin de la cible a conservé son score initial tandis que s’il était en bordure de zone, il était alors affecté d’un coefficient de 0,6. Cette pondération n’a, en revanche, pas été appliquée aux pure players, ces derniers étant par définition accessibles de manière égale où que l’on soit.

Au final, l’Autorité a additionné, zone par zone, les scores obtenus ; elle a alors considéré que les zones dont le total était supérieur à « 10 » permettait de démontrer l’existence d’une pression concurrentielle suffisante à l’issue de l’opération et permettait ainsi d’écarter tout risque d’atteinte à la concurrence. En revanche, pour les zones n’ayant pas atteint ce score de 10, des cessions de magasins étaient donc nécessaires pour rééquilibrer l’intensité concurrentielle locale.

Pour remédier aux problèmes de concurrence identifiés à Paris et dans le sud-ouest de la région parisienne, la Fnac s’est engagée à céder des points de vente situés boulevard de Belleville, avenue de Saint Ouen (Darty), dans les centres commerciaux Italie 2 (Darty), Beaugrenelle (Fnac) et Vélizy II (Darty). La Fnac s’est également engagée à céder un emplacement commercial situé avenue de Wagram où Darty s’apprêtait à ouvrir un magasin.

Classiquement, les repreneurs des magasins cédés dans chaque zone considérée devront être des distributeurs concurrents et actifs dans le même secteur, afin de garantir l’exercice d’une pression concurrentielle suffisante à l’égard du nouvel ensemble Fnac/Darty. Un mandataire indépendant veillera, comme toujours, au respect de la mise en œuvre de ces engagements.

Cette décision marque donc un tournant dans le secteur de la distribution de produits électroniques et il est vraisemblable que d’autres entreprises dans d’autres secteurs de la distribution (habillement, alimentation…) invoqueront à leur tour, lors de leurs opérations de concentration, cette porosité entre les canaux de vente en magasin et en ligne afin de diminuer leur part de marché cumulée et in fine sauver leurs points de vente. Elle montre aussi que l’Autorité ne rechigne pas à multiplier les tests d’analyse, ce qui complexifiera et rallongera d’autant les prochaines opérations de concentration d’envergure sur ces marchés.

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