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Décision n° 22-DCC-35 du 27 avril 2022 de l’ADLC

Comment un projet d’opération non notifiable peut-il cependant être indirectement contrôlé par l’Autorité de la concurrence, et même contrecarré ? C’est sans doute l’un des apports principaux de la décision de concentration n° 22-DCC-35 Inovie / Bio Pôle Antilles du 27 avril 2022.

Cette affaire illustre en effet les conséquences, dans le cadre de l’analyse par l’Autorité de la concurrence d’une opération notifiée devant elle, de l’annonce d’une seconde opération concomitante qui n’était pas notifiable, mais qui a dû être renoncée, quand bien même cette dernière ne serait pas soumise à autorisation de concentration.

En l’espèce, le groupe Inovie notifiait à l’Adlc son projet de prise de contrôle exclusif de la société Bio Pôle Antilles, les deux entreprises étant présentes sur les marchés de l’approvisionnement en équipements, réactifs et consommables de biologie, ainsi que sur les marchés des examens de biologie médical.

Cette première opération, notifiable, n’était, a priori à elle seule, pas de nature à soulever de problèmes de concurrence.

Néanmoins, au cours de la procédure, l’acquéreur a également sollicité une lettre de confort auprès de l’Adlc concernant son projet imminent de prise de participation minoritaire (25 %) de l’entreprise Synergibio, concurrente directe de la société Bio Pôle Antilles, afin d’obtenir confirmation auprès du Service des concentrations que cette seconde opération envisagée ne serait, en tout état de cause, pas notifiable en l’absence d’influence déterminante sur l’activité de la cible.

Tout en confirmant l’absence de contrôlabilité de la prise de participation minoritaire de Synergibio, l’Adlc a cependant pris en compte les effets de ce second projet, dans la mesure où il revêtait un caractère suffisamment certain, dans le cadre de l’analyse de la première opération notifiée devant elle. En effet et ainsi que le rappellent les lignes directrices relatives au contrôle de concentration (citées au point 53 de la décision), « l’Autorité doit caractériser [les risques concurrentiels d’une opération] à partir d’une analyse prospective tenant compte de l’ensemble de données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible. En effet, seule la situation antérieure à l’opération est observable et les effets probables de l’opération doivent être présumés. Cette analyse s’appuie sur les caractéristiques du marché pertinent et du fonctionnement de la concurrence sur celui-ci, telles qu’elles existent au moment du contrôle mais aussi compte-tenu des évolutions envisageables. ».

En l’occurrence, l’Adlc a estimé que la prise de contrôle de Bio Pôle Antilles aurait entrainé, en combinaison avec la prise de participation minoritaire annoncée dans Synergibio, des effets anticoncurrentiels dans le marché des examens de biologie médicale de routine au niveau local (en l’espèce, en Guadeloupe et à Saint Martin), pour les principales raisons suivantes.

Tout d’abord, il convient de relever que Synergibio est le seul concurrent de Bio Pôle Antilles sur ces marchés locaux, lesquels sont par conséquent caractérisés par l’existence d’une situation de duopole.

Par ailleurs, l’Adlc a estimé que la prise de participation minoritaire d’Inovie dans Synergibio aurait conféré à cette première, d’une part, « des droits à revenus lui permettant de bénéficier de la quasi-intégralité des bénéfices de Synergibio » (cette participation, bien que ne conférant que 25 % des droits de vote, aurait cependant octroyé 99,99 % des droits financiers), et d’autre part, « des droits de représentation et d’information » (point 57), susceptibles d’engendrer les effets suivants :

  • Concernant les droits à revenus, l’Autorité anticipait que « si Inovie décidait d’augmenter les prix des examens hors nomenclature ou de baisser la qualité de service du groupe Bio Pôle Antilles, la totalité ou la quasi-totalité des reports de patientèle se ferait vers Synergybio. Or, Inovie, au travers de sa participation minoritaire, récupèrerait la quasi-totalité des bénéfices (99,99 %) de ces reports. Une telle stratégie serait profitable pour Inovie puisqu’elle lui permettrait d’augmenter les marges du groupe Bio Pôle Antilles et la perte de patientèle de Bio Pôle Antilles induite par cette stratégie serait compensée par un report vers Synergibio. Compte tenu de la structure duopolistique du marché, Synergibio n’aurait enfin pas d’incitation à baisser ses prix. » (point 58).
  • De plus, les droits de représentation et d’informations nouvellement acquis auraient pu entrainer un possible transfert d’informations commercialement sensibles de Synergibio vers Inovie, ainsi qu’un possible alignement des comportements commerciaux sur ce marché (points 60 et 61).
  • Enfin, une telle prise de participation minoritaire aurait verrouillé toute possibilité pour un concurrent d’entrer dans le capital de Synergibio dans la mesure où le code de la santé publique plafonne la participation d’associés n’exerçant pas la profession de biologiste à 25 % du capital ; en conséquence, aucun autre groupe privé n’aurait pu prendre de participation dans le capital de Synergibio entrée au capital d’Inovie (point 62).

Dans ces conditions, et afin d’obtenir l’autorisation de concentration de sa première opération avec Bio Pôle, Inovie s’est engagée à renoncer à toute prise de participation dans le capital de la société Synergibio, pour une durée de dix ans (point 73).

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De prime abord, il est permis de penser qu’en l’absence de demande de lettre de confort à propos du projet de prise de participation minoritaire de Synergibio (une telle demande étant purement facultative), l’Adlc n’aurait alors pas pris en compte les effets de ce second projet dans la mesure où elle n’en aurait pas eu connaissance. Autrement dit, Inovie aurait alors pu obtenir une autorisation inconditionnelle de concentration avec Bio Pôle Antilles, puis librement procéder à sa prise de participation minoritaire envisagée dans Synergibio sans en référer à l’Adlc.

Cependant, dans la mesure où la réalisation du second projet était « certaine », Inovie pouvait-il ne pas en faire état à l’Adlc sans risquer, dans le cas contraire, que cette dernière, apprenant ultérieurement – fortuitement ou à la suite d’un plainte – la réalisation de cette prise de participation, estime que le formulaire de l’opération Bio Pôle Antilles notifiée était incomplet ou erroné, ce qui aurait alors été de nature non seulement à remettre en cause l’autorisation octroyée, mais également à déclencher, le cas échéant, une procédure visant à sanctionner cette omission potentiellement dolosive ?

Quoi qu’il en soit, cette affaire illustre l’importance pour les entreprises d’anticiper, dans le contexte d’une autre opération de concentration notifiable, la portée de leurs éventuelles autres négociations d’opérations M&A concomitantes, y compris celles qui ne seraient a priori pas soumises à autorisation au titre du contrôle des concentrations (ex : prises de participations minoritaires).

Lien vers la décision n° 22-DCC-35 du 27 avril 2022 de l’ADLC

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