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E-commerce et contrats de distribution : il convient dès à présent d’analyser ce type de contrats au regard des conclusions préliminaires de la Commission européenne

Le fort développement du secteur du e-commerce est de nouveau l’objet de toute l’attention des autorités de concurrence, et en particulier de la Commission européenne, en raison de l’apparition de nouvelles restrictions contractuelles.

La Commission européenne (la « CE ») a publié le 15 septembre 2016 les conclusions préliminaires (290 pages) à son enquête sectorielle sur le commerce électronique initiée le 6 mai 2015. Cette enquête a recueilli des informations auprès d’environ 1.800 entreprises ainsi que 8.000 contrats de distribution. Elle s’inscrit, pour la CE, dans le cadre de sa stratégie globale pour un marché unique numérique et a vocation à mettre en exergue l’ensemble des obstacles au commerce électronique transfrontière de biens et de services existants dans tous les secteurs, et en particulier ceux où il est le plus répandu, à l’instar des produits électroniques, de l’habillement, ainsi que des contenus numériques.

Ces conclusions sont à même d’influer de manière significative sur les relations commerciales dans ce secteur, étant donné que la publication du rapport final attendu dans le courant du premier semestre 2017 ne devrait comporter – a priori – que peu de changements. C’est d’ailleurs le vœu de la CE qui invite déjà les entreprises à revoir leurs contrats et pratiques actuels à l’aulne de cette version tandis que les juridictions des Etats membres peuvent également s’en inspirer lors de leurs propres analyses.

Il ressort ainsi de ces « conclusions préliminaires » que les restrictions suivantes doivent, à tout le moins, faire l’objet d’une attention particulière :

i. les clauses de blocage géographique (geo-blocking). La CE, qui avait déjà publié un premier document sur le blocage géographique en mars 2016, adopte maintenant une position très claire sur l’illégalité de ces clauses entravant le commerce électronique transfrontière.

– S’agissant de la vente de biens, ces pratiques se traduisent en effet le plus souvent par un refus du commerçant de livrer le produit commandé en raison du pays de résidence du consommateur, ou bien le refus d’acceptation de moyens de paiement étrangers, ou encore la redirection et le blocage de l’accès à site internet étranger. Le rapport préliminaire relève que les pratiques de geo-blocking sont couramment appliquées par quatre revendeurs sur dix : or, dès lors que cette pratique relève d’un accord formalisé entre le fournisseur et le site de vente en ligne, elle est susceptible de constituer une violation du droit des ententes.

– S’agissant du contenu numérique, les titulaires de droits de licences de séries TV, films et événements sportifs ont également tendance à instaurer le geo-blocking ; là encore, de telles stipulations sont susceptibles d’être illégales en droit de la concurrence.

ii. les clauses restreignant la libre fixation des prix. La libre fixation des prix pour un distributeur constituant un principe essentiel du droit de la concurrence, toute clause qui pourrait avoir pour effet de fixer un prix minimum, d’empêcher les distributeurs de différencier leurs prix selon les plates-formes de vente, ou d’imposer le paiement de prix distincts entre vente en ligne et vente physique, est potentiellement problématique.

Il en est de même s’agissant des pratiques de prix de revente conseillés, en particulier lorsque ces stipulations reviennent à imposer un prix minimum ou fixe.

Les clauses de parité et les clauses de la nation la plus favorisée, du fait qu’elles tendent à aligner le prix de vente sur une plate-forme au prix de vente sur le propre site du fournisseur ou sur une autre plate-forme utilisée par le fournisseur, sont également sujettes à préoccupation – pratiques, du reste, déjà sanctionnées s’agissant des sites de réservation en ligne.

iii. les clauses d’interdiction de la vente en ligne. La CE rappelle que les pratiques d’interdiction des ventes en ligne constituent des restrictions caractérisées en droit de la concurrence. Au-delà des clauses intégrées dans les contrats, la CE vise plus largement les pratiques non écrites de pression des fournisseurs dans le but d’interdire la vente en ligne.

Elle s’intéresse en outre aux pratiques relatives au classement des détaillants dans les listes des moteurs de recherche en ligne tels que Google AdWords. Il peut en effet s’agir de restrictions faussant le libre jeu de la concurrence si le fournisseur privilégie ses détaillants ou restreint la faculté d’autres détaillants à attirer les consommateurs en ligne.

iv. les clauses de restriction des ventes en ligne sur des marketplaces (places de marché) ou via des sites de comparaison en ligne. Les clauses imposant la nature ou les qualités des plates-formes en ligne sur lesquelles les produits du fournisseur sont vendus peuvent constituer des restrictions lorsqu’elles restreignent le choix pour les distributeurs de recourir à certaines plateformes, comme Amazon ou eBay.

v. les clauses de restriction des exclusivités territoriales et de distribution sélective. Le rapport relève non seulement le manque de transparence des critères de sélectivité des réseaux de distribution sélective et identifie de nombreuses clauses restreignant les ventes en ligne, comme le fait pour le fournisseur d’exiger de ses détaillants qu’ils disposent d’au moins un magasin physique ou qu’ils offrent certains services. Ce type de restrictions est prohibé lorsque les caractéristiques des produits vendus ne sont pas de nature à justifier de telles exigences ; toutefois, la CE n’apportant aucune précision quant au type de produits concernés, il conviendra par conséquent d’effectuer une analyse in concreto de ce type de clauses.

Concernant les restrictions de territoire, la CE rappelle que, selon le Règlement (UE) n °330/2010 d’exemption des accords verticaux, la clause qui a pour objet de restreindre le territoire d’un distributeur constitue une restriction caractérisée, sauf si la restriction est limitée aux ventes actives dans un territoire exclusivement réservé au fournisseur ou affecté à un autre distributeur : a contrario, les pratiques restreignant les ventes actives dans des territoires non exclusifs peuvent être sanctionnées. En revanche, une restriction des ventes passives sur un territoire exclusif se situe en dehors du champ d’application du règlement d’exemption précité et constitue une restriction caractérisée per se.

Bien que s’agissant d’une liste indicative, il est vraisemblable que la majorité des contrats en cours contiennent une ou plusieurs clauses précitées et sont de ce fait susceptibles d’entrainer des préoccupations de concurrence. Il convient donc dès à présent de prendre la mesure de cette « invitation » de la CE pour amender ces contrats.

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