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Conformité à la Constitution des dispositions et des sanctions relatives à la notion d’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie !

Par une décision n° 2022-1011 QPC du 6 octobre 2022, le Conseil constitutionnel a répondu à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par Amazon et transmise par la Cour de cassation le 7 juillet dernier concernant la conformité à la Constitution du texte relatif à l’obtention d’un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie [1].

À l’occasion du litige principal, l’Institut de Liaisons d’Etudes des industries de la Consommation (ILEC) reprochait à la société Amazon EU d’avoir introduit au sein de ses documents contractuels des clauses abusives dont des avantages sans contrepartie. L’affaire portée devant le Tribunal de commerce de Paris avait donné l’occasion à Amazon de poser une QPC concernant la potentielle méconnaissance des dispositions constitutionnelles par l’article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce.

Les dispositions litigieuses sont les suivantes :

« I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :

1° D’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie. ».

Amazon soutenait notamment que les dispositions en cause méconnaissaient la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle dès lors qu’il n’était pas fait mention d’un seuil à partir duquel l’avantage consenti devait être regardé comme « manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ». En outre, Amazon affirmait que l’imprécision du texte cumulée à l’ampleur de l’amende encourue au titre de l’article L. 442-4 du Code de commerce constituait une violation du principe de légalité des délits et des peines.

La Cour de cassation avait donc transmis la QPC suivante :

« Les dispositions de l’article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce, prises dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 et maintenue inchangée par les lois n°  2020-1508 du 3 décembre 2020, n° 202-1525 du 7 décembre 2020 et n° 2021-1357 du 18 octobre 2021, méconnaissent-elles les droits et libertés garanties par la Constitution telles que la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle, le principe d’égalité devant la loi, la garantie des droits et le principe de légalité des peines ? »

Nous avions d’ores et déjà abordé la question des enjeux d’une telle QPC dans notre Note d’actualité du 8 juillet 2022.

Le Conseil constitutionnel a répondu à cette QPC en abordant, d’une part, les atteintes aux libertés publiques (I) et, d’autre part, l’atteinte au principe de légalité des délits et des peines (II).

  1. La conformité de l’atteinte proportionnée aux libertés i) contractuelle et ii) d’entreprendre

Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel affirme qu’il est « loisible » au législateur d’apporter des restrictions aux libertés d’entreprendre et contractuelle. Le terme « loisible » utilisé n’est pas anodin, il annonce dès les premières lignes de la décision la position du Conseil constitutionnel qui s’inscrit dans la lignée de la décision n° 2018-749 QPC du 30 novembre 2018 – QPC Carrefour – qui avait déclaré conformes à la Constitution les dispositions relatives au déséquilibre significatif en adoptant un raisonnement similaire.

Les juges constitutionnels, au travers de cette décision, se veulent particulièrement pédagogues. En effet, les rappels sont clairs : le législateur peut apporter des restrictions à ces libertés publiques s’il poursuit un objectif d’intérêt général, à la condition tout de même que les restrictions ne soient pas disproportionnées au regard du but recherché. En l’espèce, le Conseil retient que le législateur agit pour préserver « l’ordre public économique» en assurant l’équilibre des relations commerciales et que de ce fait, le texte est justifié par un motif d’intérêt général.

En ce sens, c’est un véritable contrôle de proportionnalité qui est opéré par le Conseil constitutionnel. Le but n’était pas de savoir si l’atteinte existait ou non, mais de savoir si cette atteinte était proportionnée. Les juges constitutionnels répondent positivement dès lors que le contrôle assuré par cette disposition ne revient pas à un pur contrôle du prix déjà librement négocié, mais qu’il s’agit uniquement de sanctionner le caractère abusif de la pratique mise en cause.

  1. L’atteinte au principe de légalité des délits et des peines : la disposition critiquée est rédigée en des termes « suffisamment clairs et précis »

Dans la deuxième partie de la décision, le Conseil constitutionnel est à nouveau très bref tout en restant très clair.

Les juges constitutionnels réaffirment dès le début le caractère général du principe de légalité des délits et des peines. Ils expriment clairement que les principes édictés à l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, parmi lesquels le principe de légalité des délits et des peines, « ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition. ».

Ensuite, après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 442-4 du Code de commerce qui sanctionne l’avantage sans contrepartie en substance, le Conseil constitutionnel considère que la notion « d’avantage manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » s’avère être précise et non équivoque. Le Conseil ne s’étend pas plus sur la question et si certains pourront regretter la brièveté du raisonnement, d’autres se réjouiront de sa clarté et de la sécurité juridique qu’il apporte.

Par ailleurs, les juges constitutionnels ont pu entendre le représentant de la Première ministre qui a notamment appuyé la position retenue par le Conseil au motif que l’interprétation des juges peut être guidée par les treize pratiques proscrites que comportait autrefois le texte, ainsi que sur la jurisprudence d’ores et déjà établie.

Considérant donc que la question ne nécessite pas plus de développement, le Conseil constitutionnel conclut que les dispositions contestées ne méconnaissent pas les principes constitutionnels et doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.

C’est bien entendu une décision très importante car elle contribue à affirmer, après la QPC Carrefour, il y a quelques années de cela, la conformité des pratiques restrictives de concurrence à la Constitution, ce dont on ne peut que se réjouir sur un plan strictement juridique.

Mais l’affaire Amazon n’est pas encore terminée car nous avons également une saisine du Conseil d’Etat ; affaire à suivre donc.

Bonnes négociations commerciales à tous sur fond de dispositions ainsi déclarées conformes à la constitution française !


[1]     Com. 7 juillet 2022, n° 22-40.010, dont un commentaire figure également sur notre site internet : Transmission d’une QPC portant sur l’article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce, 8 juillet 2022, Jean-Christophe Grall.

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