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Entrée en vigueur de la directive ECN + en France au plus tard début septembre 2021 : un point sur les nouveaux pouvoirs de l’ADLC s’impose !

La directive 2019/1 dite « ECN+ (ci-après la « Directive »), adoptée le 11 décembre 2018, a pour objectif de veiller à ce que les autorités nationales de concurrence (ci-après les « ANC ») disposent des garanties d’indépendance, des ressources et des pouvoirs de coercition et de fixation d’amendes nécessaires à l’application effective des articles 101 et 102 du TFUE.

Pour ce faire, la Directive confère de nouveaux pouvoirs aux ANC des États membres (I) et renforce leurs moyens d’action et d’assistance (II) en vue de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur. Le renforcement du caractère dissuasif des sanctions ayant déjà fait succinctement l’objet d’une brève sur notre site, ce volet ne sera pas abordé dans cet article.

En France, c’est l’article 37, I de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (ci-après la « loi DDADUE ») qui habilite le Gouvernement à transposer par ordonnance, dans un délai de six mois à compter de sa publication, soit jusqu’au 4 juin 2021, les dispositions de la directive 2019/1 ECN+. Un projet de loi de ratification devra ensuite être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance. La Directive devrait ainsi entrer en vigueur en France au plus tard début septembre 2021.

En parallèle, l’article 37, III de la loi DDADUE propose diverses mesures, directement introduites dans la loi, tendant à modifier certaines dispositions procédurales en droit de la concurrence. Certaines de ces mesures, pour l’essentiel en vigueur depuis le 5 décembre 2020, sont complémentaires avec les dispositions de la directive ECN+ et sont mentionnées dans le présent article.

I. Un nivellement par le haut des pouvoirs des autorités nationale de concurrence

Si les adaptations textuelles de la Directive sont plus limitées en France, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’ADLC ») figurant parmi les ANC les plus performantes au monde, elles ne seront pas pour autant négligeables. L’ADLC s’est par ailleurs félicitée dans deux communiqués du 14 janvier 2019 et 20 novembre 2020 des avancées de la Directive, indiquant que « la directive implique un renforcement de ses pouvoirs d’action et, pour les entreprises, des sanctions encore plus dissuasives » et que sa transposition en France « représente une nouvelle étape vers une action plus efficace ». Les nouveaux pouvoirs conférés sont nombreux.

  • Consécration d’un principe d’opportunité des poursuites

Instauré par le paragraphe 5 de l’article 4 de la Directive relatif au principe d’indépendance institutionnelle, l’ADLC pourra fixer ses priorités, ce qui lui permettra de rejeter, après examen, certaines saisines qu’elle considère comme non prioritaires.

L’ADLC ne peut actuellement rejeter une plainte que pour l’une des raisons visées à l’article L. 462-8 du code de commerce, parmi lesquelles l’absence de priorité ne figure pas.

Cette opportunité est présentée comme devant permettre une meilleure allocation des ressources afin de traiter les infractions les plus graves pour le fonctionnement du marché. L’ordonnance à venir devra déterminer les critères justifiant le rejet, le régime procédural de celui-ci et les modalités de recours contre la décision, comme évoqué au considérant 23 de la Directive.

  • Possibilité d’adopter des mesures correctives comportementales ou structurelles pour faire cesser l’infraction

Il s’agit d’une nouveauté pour l’ADLC qui se voit reconnaître en vertu de l’article 10 de la Directive une possibilité de procéder à des injonctions structurelles et non plus seulement comportementales.

Actuellement, l’ADLC ne peut prononcer d’injonctions structurelles que dans certains cas limités, à savoir  en cas  un abus de position dominante ou de dépendance économique à la suite d’une opération de concentration (article L. 430-9 du code de commerce) et lorsque que de tels abus ont été commis par une entreprise ou un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail (article L. 752-26 du code de commerce).

Ce nouveau pouvoir sera toutefois fortement encadré puisque l’injonction structurelle ne pourra intervenir que dans un cadre contentieux classique et les ANC auront l’obligation d’opter pour la solution la moins contraignante pour l’entreprise, si un choix est possible entre deux mesures d’égale efficacité, conformément au principe de proportionnalité.

  • Possibilité pour les ANC de se saisir d’office afin d’imposer des mesures conservatoires

L’article 11 paragraphe 1er de la Directive prévoit que les ANC pourront imposer de telles mesures d’office, en cas d’urgence et de risque de préjudice grave et irréparable causé à la concurrence.

Il s’agit là d’une nouveauté pour l’ADLC qui, jusqu’à présent, doit nécessairement être saisie d’une telle demande en vertu de l’article L. 464-1 du code de commerce, sauf depuis la loi Égalim n° 2018-938 du 30 octobre 2018 en matière d’alliances à l’achat entre distributeurs. En effet,  l’article 19 de la loi Égalim a modifié l’article L. 462-10 III° du code de commerce qui autorise l’ADLC en matière d’alliances à l’achat entre distributeurs de « prendre des mesures conservatoires selon les modalités et dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article L. 464-1 pour tout accord mentionné au I du présent article dès lors que l’une des atteintes à la concurrence mentionnées au II, que cet accord entraîne ou est susceptible d’entraîner immédiatement après son entrée en vigueur, présente un caractère suffisant de gravité ».

A ce titre, on rappellera les décisions 20-D-13 et 20-D-22 de l’ADLC du 22 octobre et 17 décembre 2020 dans lesquelles l’Autorité a rendu obligatoires, d’une part, les engagements des groupes Auchan, Casino, Schiever et Metro et d’autre part les engagements des groupes Carrefour et Tesco souscrits dans le cadre de la mise en œuvre de leurs accords de coopération à la suite de la saisine d’office de l’Autorité le 2 mai 2019 comme le lui permet le III° de l’article L. 462-10 du code de commerce.

On rappellera également que le I° de l’article L. 462-10 du code de commerce, créé par l’article 37 de la loi Macron de 2015, a instauré une obligation de communiquer à l’ADLC, quatre mois avant sa mise œuvre, tout accord d’achats groupés entre des entreprises du secteur de la distribution de produits de grande consommation et/ou centrales de référencement ou d’achats.

Cette obligation d’information préalable est subordonnée au dépassement d’un double seuil de chiffre d’affaires, fixé à l’article R. 462-5 du code de commerce : le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales parties aux accords doit être supérieur à 10 milliards d’euros et le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé à l’achat en France dans le cadre de ces accords par l’ensemble des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales parties aux accords doit être supérieur à 3 milliards d’euros.

  • Possibilité pour les entreprises de prendre des mesures d’engagement

L’article 12 de la Directive prévoit que les ANC pourront, par voie de décision, après avoir consulté les acteurs du marché, de manière formelle ou informelle, rendre contraignants les engagements offerts par les entreprises ou associations d’entreprises, lorsque ces engagements sont de nature à répondre aux préoccupations exprimées par les autorités nationales de concurrence.

Cette possibilité est déjà offerte en France tant en droit des concentrations qu’en matière de pratiques anticoncurrentielles par l’article L. 464-2 du code de commerce en ce qui concerne les engagements comportementaux

II. Un renforcement des moyens des autorités nationales de concurrence

Outre l’attribution de nouveaux pouvoirs aux ANC, la Directive harmonise et renforce les moyens d’actions et d’assistance de ces dernières afin de s’assurer du bon accomplissement de leurs missions tout en veillant à réduire les délais de traitement des affaires contentieuses dans le respect du principe du contradictoire.

  • Renforcement des moyens d’actions des ANC

o Affirmation des pouvoirs d’inspection (enquêtes lourdes ou « OVS)

Les articles 6 à 9 de la Directive affirme le droit des autorités nationales à procéder à toutes inspections inopinées et à obtenir des entreprises les documents et informations nécessaires à leurs enquêtes au moyen d’entretiens et de demandes d’information contraignantes dans un délai déterminé et raisonnable.

Lors de visites et saisies dans les locaux de l’entreprise, les ANC doivent veiller à ce que leurs agents soient au minimum investis des pouvoirs suivants :

  • Accéder à tous les locaux, terrains et moyens de transport des entreprises et associations d’entreprises ;
  • Contrôler les livres ainsi que tout autres documents liés à l’activité de l’entreprise, quel qu’en soit le support, et avoir le droit d’accéder à toutes les informations auxquelles a accès l’entité faisant l’objet de l’inspection ;
  • Prendre ou d’obtenir, sous quelque forme que ce soit, copie ou extrait de ces livres ou documents et, s’ils le jugent opportun, poursuivre ces recherches d’information et la sélection des copies ou extraits dans les locaux des autorités nationales de concurrence ou dans tous autres locaux désignés ;
  • Apposer des scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci ; et
  • Demander à tout représentant ou membre du personnel de l’entreprise ou association d’entreprises des explications sur des faits ou documents en rapport avec l’objet et le but de l’inspection et enregistrer ses réponses.

Notons que si l’ADLC est d’ores et déjà dotée de ces pouvoirs d’enquête en France dans le cadre des opérations de visite et saisies au visa de l’article L. 450-4 du code de commerce, la loi DDADUE, en sus de l’habilitation donnée au gouvernement de transposer la directive ECN+, a simplifié depuis le 6 décembre 2020 le régime français des visites et saisies couvrant notamment le territoire de plusieurs tribunaux judiciaires.

En effet, en vertu de l’article 37, III 2° de la loi DDADUE du 3 décembre 2020 modifiant l’article L. 450-4 du code de commerce, un seul juge des libertés et de la détention a désormais compétence nationale pour autoriser des OVS se déroulant simultanément dans plusieurs lieux du territoire, ce qui rend le recours à la commission rogatoire optionnel, tandis que la présence d’un seul officier de police judiciaire, chargé d’assister et d’apporter son concours aux OVS, est autorisé par site visité au lieu d’un officier par équipe d’enquêteurs.

o Elargissement des preuves recevables

L’article 32 de la Directive dispose que les preuves recevables devant les ANC seront les documents, les déclarations orales, les messages électroniques, les enregistrements et tout autre élément contenant des informations, quels qu’en soient la forme et le support.

Ainsi, les enregistrements dissimulés pourront être pris en compte, pour autant qu’il ne s’agisse pas de l’unique source de preuve, selon le considérant 73 de la Directive.

Cette disposition s’inscrit à rebours de la solution issue de la jurisprudence française actuelle qui considère que l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve (Cass. ass. plén. 7-1-2011 n° 09-14.316 et 09-14.667).

o Harmonisation et attractivité de la procédure de clémence

En sus d’uniformiser les règles en matière de programmes de clémence, la Directive en son considérant 11 prévoit que les demandeurs de clémence personnes physiques (directeurs, gérants et salariés de l’entreprise) soient prémunis contre les sanctions qui pourraient leur être infligées dans le cadre de procédures pénales pour leur participation à une entente s’ils respectent les conditions générales de clémence énoncées à son article 19.

En France, l’article L 420-6 du code de commerce  punit encore aujourd’hui pénalement toute personne physique qui, frauduleusement, aura pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre d’une entente ou d’un abus de domination.

Par ailleurs, l’article 37, III 7° de la loi DDADUE, introduisant de nouvelles mesures non prévues par la Directive, supprime l’avis de clémence allégeant de ce fait la procédure de clémence. Dès lors, le nouvel article L. 464-2 du code de commerce prévoit à l’avenir que le Rapporteur général se limitera à informer le Commissaire du gouvernement de la démarche engagée par l’entreprise, puis à informer celle-ci par écrit, le cas échéant, de son éligibilité à une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires encourues en lui indiquant les conditions de coopération posées par l’ADLC. Si, lors de sa décision, ces conditions ont été respectées, l’ADLC pourra accorder une exonération de sanctions pécuniaires proportionnée à la contribution apportée à l’établissement de l’infraction.

Cette simplification de la procédure de clémence apportée par la loi DDADUE n’est pas encore applicable car subordonnée à l’adoption d’un décret en Conseil d’Etat.

  • Renforcement des moyens d’assistance

Enfin, les articles 24 à 27 de la Directive renforcent les outils d’assistance mutuelle et de coopération entre les autorités nationales afin d’assurer l’effectivité des enquêtes et décisions prises sur tout le territoire de l’Union européenne.

La nouveauté pour l’ADLC se trouve à l’article 24 de la directive qui prévoit que les agents étrangers peuvent activement participer aux inspections ou auditions menées par l’ADLC.

La Directive étend le champ d’application initial de l’assistance qui n’avait vocation à être mise en œuvre que pour l’établissement des infractions aux articles 101 (ententes anticoncurrentielles) et 102 (abus de position dominante) du TFUE. L’article 24, paragraphe 2 prévoit que désormais les autorités nationales de concurrence devraient être habilitées à demander de l’assistance auprès d’une autorité nationale de concurrence afin d’établir si des entreprises ou des associations d’entreprises ont refusé de se soumettre aux mesures d’enquête et aux décisions prises par l’autorité nationale de concurrence requérante, ce qui peut être utile lorsqu’elles instruisent des cas de procédure d’obstruction ou de non-respect d’engagements, comme ce fut le cas pour le Groupe Akka Technologies, sanctionné à hauteur de 900 000 euros pour avoir fait obstacle au déroulement d’opérations de visite et saisies réalisées par l’ADLC dans une décision 19-D-09 du 22 mai 2019.

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