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L’autorité de la concurrence sanctionne quatre sociétés pour s’être entendues dans le cadre d’appel d’offres publics relatifs à la collecte des déchets en Haute-Savoie (Décision 22-D-08 du 03 mars 2022)

L’autorité de la concurrence sanctionne quatre sociétés pour s’être entendues dans le cadre d’appel d’offres publics relatifs à la collecte des déchets en Haute-Savoie
(Décision 22-D-08 du 03 mars 2022)

Le 3 mars 2022, l’Autorité de la concurrence (« l’Autorité ») a rendu sa Décision n° 22-D-08 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la collecte et de la gestion des déchets de Haute-Savoie sanctionnant à hauteur de 1,5 millions d’euros trois sociétés concurrentes pour des faits d’ententes sur le marché local de la collecte des déchets non-dangereux entre 2010 et 2018 et une quatrième société pour une entente sur le marché de la collecte des déchets dangereux.

Bien qu’à première vue cette décision porte sur une entente classique dans le cadre d’appels d’offres publics (1.), elle n’en demeure pas moins remarquable à plusieurs titres : pour la facilité (et la légèreté ?) avec laquelle l’Autorité démontre la participation des parties à l’entente faisant l’objet du second grief (2.) et surtout pour l’étonnant irrespect du principe de non-rétroactivité d’une loi plus sévère (3.).

  1. Les pratiques condamnées

Deux griefs ont été retenus par l’Autorité de la concurrence. Le premier porte sur une infraction unique, complexe et continue fondée sur un plan d’ensemble dont l’objet anticoncurrentiel unique était la répartition des marchés au moyen d’offres de couverture ; du classique en quelque sorte.

La pratique des offres de couverture consiste en un individu ou une entreprise qui accepte de soumettre une offre qui comporte au moins une des caractéristiques suivantes : (i) un concurrent accepte de soumettre une offre qui est plus élevée que celle de l’entreprise censée remporter le marché, (ii) un concurrent soumet une offre dont on sait qu’elle est trop élevée pour être acceptée, ou (iii) un concurrent soumet une offre qui est assortie de conditions spéciales notoirement inacceptables par l’acheteur. Les offres de couverture visent à donner l’apparence d’une véritable concurrence[1].

Dans les faits, les sociétés Ortec Environnement, Excoffier Recyclage et Trigénium ont échangé des informations sensibles notamment sur le montant des offres qu’elles allaient formuler pour un marché public et douze lots compris dans cinq marchés publics relatifs à la collecte et à la gestion de déchets non dangereux entre 2010 et 2014. 

Dans le second grief, la société TREDI a communiqué par email à la société Excoffier Recyclage son intention de présenter une offre pour le marché de la communauté d’agglomération d’Annemasse en 2016 relatif à la collecte de déchets dangereux. Cette communication unilatérale, avant la date limite de dépôt des offres aurait altéré le libre jeu de la concurrence et a conduit à la condamnation des deux sociétés sur le fondement de l’article L. 420-1 du Code de commerce.

  • La preuve de la participation au second grief

Pour caractériser l’existence d’une entente sur le fondement de l’article L. 420-1 du Code de commerce, l’Autorité doit démontrer qu’il y a eu un accord de volontés des participants sur la mise en œuvre de la pratique.

Dans le cas d’espèce, l’envoi d’un seul email qui alerte le concurrent sur son intention de soumissionner à l’appel d’offres, auquel il n’a pas été répondu, suffit à caractériser la participation à une concertation des deux personnes que sont l’émetteur et le destinataire du courriel.

En ne prenant pas publiquement ses distances avec cet email, la société réceptrice est réputée s’être concertée avec l’émetteur ; c’est tout simple et redoutable…

Donc le maître mot est celui de distanciation comme en matière d’ententes horizontales (i.e. des échanges d’informations) ; la simple absence de réponse permettant de caractériser l’accord de volonté !

  • L’application des dispositions de la loi DDADUE à des faits antérieurs à sa publication

La présente décision a fait l’objet d’une procédure simplifiée prévue par l’article L. 463-3 du Code de commerce. Auparavant, les sanctions infligées à la suite de cette procédure ne pouvaient excéder le plafond de 750 000 euros. Depuis la publication de la loi n° 2020-158 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (DDADUE), le montant maximal est déplafonné et peut désormais s’élever à hauteur de 10 % du chiffre d’affaires annuel mondial consolidé du groupe auquel appartient l’entreprise poursuivie.

Un doute planait encore sur l’application des nouvelles dispositions dans le temps. Toutes les sources de droit convergent vers un principe universel de non-application rétroactive de la loi plus sévère, en prenant en compte la date des faits comme référentiel. Les pratiques ayant ici cessé en 2018, les sanctions auraient dû être plafonnées. Néanmoins, l’Autorité fait le choix surprenant de retenir la date de la notification des griefs pour déterminer si la loi nouvelle devait s’appliquer ; nul doute que la Cour d’appel de Paris sera appelée à se prononcer sur ce point hautement sensible.

Communiquée aux parties le 21 avril 2021, la notification des griefs était postérieure à la publication de la loi DDADUE et l’Autorité a déterminé, à rebours de la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris[2], que les dispositions nouvelles étaient applicables.

Sans tarder, l’Autorité de la concurrence a condamné l’une des sociétés impliquées à une amende de 950 000 euros, faisant ainsi fi de l’ancien plafond de sanctions pour les procédures simplifiées ; là aussi redoutablement efficace !

Cette interprétation de l’Autorité parait hautement critiquable tant elle méprise les principes, pourtant élémentaires, du droit applicable aux sanctions tant pénales qu’administratives.


[1] OCDE, Lignes directrices pour la lutte contre les soumissions concertées dans les marchés publics.

[2] Voir notamment l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 janvier 2010, n° 09/00334 qui s’opposait à ce que le Conseil de la concurrence applique la loi nouvelle plus sévère au motif qu’elle était en vigueur au jour de la saisine de l’autorité de poursuite et qu’il fallait retenir la date des faits répréhensibles.

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