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L’infrastructure FttH d’Orange ne peut être qualifiée d’infrastructure essentielle, selon l’Autorité de la concurrence

Autorité de la concurrence, décision n° 20-D-02 du 23 janvier 2020 relative à des pratiques mises en œuvre par Orange dans le secteur des communications électroniques

Le 2 juillet 2019, l’Association des Opérateurs Télécoms Alternatifs (« l’AOTA »), dont les adhérents sont des opérateurs télécoms alternatifs régionaux, a saisi l’Autorité de la concurrence en raison des pratiques mises en œuvre par Orange. L’AOTA reprochait à l’opérateur d’avoir commis un abus de position dominante, en refusant aux adhérents de l’association, de manière abusive, l’accès à son infrastructure FttH (Fiber to the Home)[1], alors même qu’il s’agit selon la saisissante d’une infrastructure essentielle au sens du droit de la concurrence. Il en résultait pour les adhérents l’impossibilité de proposer des offres attractives à destination des entreprises et des collectivités publiques.

A titre accessoire, l’AOTA sollicitait le prononcé de mesures conservatoires afin de contraindre Orange à ouvrir aux adhérents l’accès à l’infrastructure litigieuse, et ce à des conditions normales de marché.

Par sa décision, l’Autorité de la concurrence a rejeté la saisine et la demande de mesures conservatoires en prenant appui sur l’expertise de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (« l’ARCEP »), estimant que les conditions de qualification d’infrastructure essentielle n’étaient en l’espèce pas remplies.

Afin de pouvoir retenir l’infraction alléguée, plusieurs conditions doivent être remplies.

En premier lieu, l’infrastructure doit être possédée par une entreprise en position dominante sur le marché. Or, sur les marchés concernés, à savoir les marchés de gros de l’accès fixe à haut-débit et très haut-débit, Orange est en position dominante. L’opérateur est également un acteur majeur sur le marché aval de détail à destination des entreprises.

En second lieu les conditions permettant de qualifier d’abusif le refus d’accès à une infrastructure essentielle sont rappelées par l’Autorité. Il s’agit des conditions cumulatives et d’interprétation stricte suivantes :

  • L’infrastructure ne peut être reproduite par des concurrents dans des conditions raisonnables ;
  • L’accès à l’infrastructure se fait sur la base de conditions restrictives ;
  • L’accès à l’infrastructure est techniquement possible ;
  • L’accès à l’infrastructure est indispensable pour accéder au marché.

Sur ce dernier point, et en se fondant sur sa propre pratique décisionnelle ainsi que sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’Autorité considère que l’accès demandé n’est pas indispensable s’il existe des solutions alternatives, y compris moins avantageuses, ou si l’entreprise est en mesure de créer, seule ou avec d’autres opérateurs, des produits ou services alternatifs. C’est à la lumière de ces critères qu’elle examine la situation en l’espèce.

L’Autorité entame son analyse par l’étude du caractère indispensable ou non de l’accès à l’offre FttH d’Orange

Elle étudie à ce titre la couverture territoriale de l’offre d’Orange. Elle relève que le réseau de fibre optique ne couvre pas l’ensemble du territoire, mais qu’il est complété par le réseau cuivre. Elle remarque également qu’outre Orange, trois opérateurs proposent des offres FttH au niveau national, bien que l’un d’entre eux éprouve aujourd’hui des difficultés. De plus, Orange est tenu de proposer une offre de revente de « marque blanche » afin de permettre aux opérateurs de fournir des offres similaires à la sienne. Si l’accès à l’offre de gros FttH activée d’Orange est qualifiée de souhaitable par l’Autorité, elle n’apparaît cependant pas indispensable, en raison de l’existence de solutions alternatives.

L’Autorité se penche ensuite sur les besoins spécifiques de la clientèle des entreprises. Elle note que la fibre optique, bien qu’attractive au regard de ses performances, n’est pas un support indispensable pour accéder au marché, comme en témoigne le fait que le réseau cuivre demeure davantage utilisé. L’Autorité relève également que les besoins de la clientèle professionnelle sont hétérogènes, distinguant ainsi deux catégories d’entreprises. D’une part, certaines entreprises se tournent vers des offres généralistes, proches des offres à destination des particuliers. D’autre part, certaines entreprises, par leur activité ou leur taille, ont des besoins accrus de performance et de services. Selon l’Autorité, il ressort de cette segmentation que la fibre optique n’est pas indispensable pour proposer à une clientèle de professionnels des services en la matière, une partie des entreprises n’ayant pas des besoins spécifiques.

Enfin, l’Autorité procède à l’analyse des conditions économiques et commerciales proposées aux opérateurs alternatifs. Elle note que des opérateurs concurrents d’Orange proposent des offres moins avantageuses mais permettant d’accéder au marché, offres auxquelles certains membres de l’AOTA ont effectivement souscrit, démontrant ainsi que le caractère indispensable de l’accès à l’infrastructure d’Orange n’était pas démontré en l’espèce. 

L’Autorité clôt son analyse sur le caractère reproductible de l’offre FttH d’Orange.

Elle affirme que ce type de réseaux est à ce jour encore en cours de déploiement, ce qui empêche de les qualifier d’infrastructures essentielles. De plus, le déploiement de réseaux en fibre optique par des opérateurs tiers témoigne du caractère reproductible de l’offre, dans des conditions raisonnables. 

Bien que rejetée, cette saisine n’est pas demeurée sans conséquence. En effet, certains éléments relevés par les services d’instruction ont conduit l’Autorité à lancer une enquête exploratoire relative au marché des télécommunications à destination des entreprises, afin d’étudier la conformité au droit de la concurrence des pratiques dans ce secteur.


[1] Le réseau FttH se caractérise par l’utilisation d’une liaison en fibre optique, du nœud de raccordement optique jusqu’à l’abonné, permettant l’accès à Internet à très haut-débit.

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