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L’insaisissabilité des correspondances avocat-client s’étend à l’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense

Cette note pourrait-elle être saisie par des agents de la DGCCRF / de l’Autorité de la concurrence dans le cadre d’opérations de visite et de saisies autorisées par le juge en vertu de l’article L. 450-4 du Code de commerce ? Le principe posé par l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques selon lequel les correspondances entre le client et son avocat sont, en toutes matières, c’est-à-dire aussi bien en matière de conseil que de défense, couvertes par le secret professionnel, est une condition sine qua non de la relation de confiance qui unit le client à son conseil et participe ce faisant à l’effectivité des droits de la défense. En France, le secret professionnel est donc rattaché à la personne même de l’avocat, toute correspondance émanant de lui à destination de son client étant protégée.

Par un arrêt du 25 novembre 2020, la Cour de cassation est pourtant venue limiter ce principe, en confirmant que les correspondances entre un avocat et son client ne peuvent pas être saisies à la condition toutefois qu’elles concernent l’exercice des droits de la défense.

La Cour d’appel de Paris l’avait d’ailleurs également affirmé un peu plus tôt, en indiquant dans l’affaire Galec du 10 avril 2019 que :

« la loi protège le secret professionnel de l’avocat mais [que] cette protection n’est pas absolue, seules étant couvertes les correspondances échangées entre un avocat et son client ou entre un avocat et ses confrères concernant l’exercice des droits de la défense et l’activité de conseil ».

En d’autres termes, seules sont insaisissables les correspondances pour lesquelles il est démontré qu’elles sont en lien avec l’exercice des droits de la défense ou l’activité de conseil.  Il ne suffit donc pas qu’un document soit estampillé de la mention « confidentiel – correspondance avocat/client » pour que ce document soit protégé des saisies par l’administration, encore faut-il que l’entreprise faisant l’objet des mesures d’investigation démontre au juge en quoi les documents saisis sont relatifs à l’exercice des droits de la défense et sont donc insaisissables. Il faut donc un examen in concreto de chaque document pour déterminer s’il est saisissable ou non, ce qui limite considérablement la protection conférée par la loi de 1971 qui définit pourtant le secret professionnel de manière claire et générale. 

Cette année, dans un arrêt du 20 janvier, la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient préciser s’il faut limiter cette insaisissabilité des correspondances avocat-client aux seuls documents liés à l’exercice des droits de la défense dans le dossier qui fait l’objet des opérations de visite et de saisies.

En l’espèce, le premier Président de la Cour d’appel de Versailles, saisi d’un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisies a, dans un premier temps, demandé aux parties d’analyser le contenu des scellés provisoires et de présenter leurs observations sur les éventuelles pièces couvertes par le secret des correspondances entre un avocat et son client liées à l’exercice des droits de la défense. Mais le premier Président a finalement rejeté les demandes d’annulation des saisies, considérant notamment que seules les correspondances entre un avocat et son client liées à l’exercice des droits de la défense dans le présent dossier de concurrence étaient protégées. 

Non sans être corrigé par la Cour de cassation, qui affirme que la « protection s’étend à l’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense ». Les correspondances relevant de l’exercice des droits de la défense sont donc insaisissables et peu importe le dossier auquel elles se rapportent, et donc même lorsqu’elles ne sont pas liées au dossier faisant l’objet des mesures d’investigation en cause.

Nous voilà à peu près rassurés ! Mais que faut-il entendre par exercice des droits de la défense ? Concrètement quels types de correspondances doivent être considérés comme relevant ou non de l’exercice des droits de la défense ?

Dans le cadre de sa jurisprudence sur les enquêtes diligentées en vertu de l’article L. 450-4 du Code de commerce, la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de préciser par des exemples concrets si tel ou tel type de document devait être considéré comme relevant de l’exercice des droits de la défense ou non.

Toutefois, des indices peuvent être trouvés du côté de la notion de « legal privilege » dans les pays de common law. Dans ces systèmes de droit, la protection est accordée en raison du contenu de la correspondance en cause, et non en fonction de la personne dont elle émane comme en droit français. Or, par sa jurisprudence récente qui tend à accorder la protection du secret professionnel non pas à l’ensemble des correspondances provenant d’un avocat mais aux seuls documents dont le contenu le justifie, par une analyse in concreto, la Cour de cassation semble s’écarter de la définition française du secret professionnel, c’est-à-dire d’une approche in personam de la confidentialité, pour s’approcher de celle de « legal privilege », qui correspond à une approche in rem de la confidentialité.

On le voit également dans l’affaire Whirlpool de 2017 dans laquelle le premier Président de la Cour d’appel de Paris avait conclu à l’insaisissabilité de courriels de juristes adressés à leurs responsables juridiques ou au président de la société, même s’ils n’émanaient pas ou n’étaient pas adressés à un avocat, dans la mesure où ils reprenaient des stratégies de défense mises en place par le cabinet d’avocats désigné par la société et devaient donc être couverts par le « legal privilege ».

La notion de « legal privilege » couvre, (i) en matière de contentieux, toutes les communications entre un avocat indépendant et son client contenant un conseil juridique lié à un contentieux envisagé ou actuel (par exemple élaboration d’une stratégie de défense, rassemblement de preuves, etc), et (ii) en matière de conseil, toute communication entre un avocat indépendant et son client dont l’objet principal est la délivrance d’un conseil juridique, y compris dans des dossiers non contentieux. Peuvent également être couverts par le « legal privilege » les échanges internes entre un juriste et son entreprise qui reprennent le contenu des communications susvisées.

Il est probable que les juges français suivent sensiblement la même grille d’analyse concernant les correspondances avocat-client pour déterminer si elles peuvent faire l’objet de saisies dans le cadre des enquêtes diligentées en vertu de l’article L. 450-4 du Code de commerce. Seules les correspondances ne contenant pas de conseils juridiques pourraient ainsi être saisies, ce qui limite a priori considérablement la saisie de correspondances avocat-client, mais exige quand même que l’entreprise justifie pour chaque document en quoi il relève de l’exercice des droits de la défense.

D’ailleurs, la question très sensible de la protection du secret professionnel de l’avocat, mise en lumière par l’affaire récurrente des fadettes, a été étudiée par une Commission dite Mattéi sur le secret professionnel des avocatset va faire l’objet d’un projet de loi qui sera prochainement présenté par le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti.

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