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Pratique décisionnelle enquêtes de concurrence

Jurisprudence européenne (affaire Meta) : (i) demandes de renseignements de la Commission européenne (« Commission ») – demande de recherches de documents par mots-clés ; (ii) protection de la vie privée – validation du recours par la Commission européenne à une data room virtuelle avec accès restreint des documents contenant des données à caractère personnel.

Jurisprudence française – opérations de visites et de saisies (« OVS ») : demande par l’Autorité de la concurrence (l’ «  Autorité ») à l’entreprise visitée de remise volontaire de messageries électroniques à l’issue des OVS – non-respect du cadre légal de l’article L. 420-4 du Code de commerce – annulation de la saisie.

En matière d’enquêtes de concurrence, deux décisions récentes, l’une européenne (A), l’autre française (B), méritent selon nous une attention particulière.

  1. Arrêt du Tribunal de l’Union européenne (« TUE ») dans l’affaire Meta – T-451/20 – Meta Platforms Ireland/Commission

Aux termes d’un arrêt rendu le 24 mai 2023, dans l’affaire T-451/20 opposant Meta Platforms Ireland, ex-Facebook, à la Commission, le juge de l’Union européenne s’est pour la première fois prononcé sur la légalité des deux pratiques suivantes de la Commission :

  • la demande de renseignements reposant sur une recherche de documents par mots clefs ; et
  • le recours à des chambres de données virtuelles avec accès restreint aux fins de protection des documents contenant des données à caractère personnel.

a. S’agissant tout d’abord de la première pratique consistant à demander la communication de documents répondant à des mots clefs, la décision de la Commission faisait obligation à Meta, sous astreinte journalière de 8 millions d’euros par jour, de communiquer l’ensemble des documents préparés ou reçus par trois de ses responsables contenant un ou plusieurs mots-clés définis par la Commission.

Alors que Meta reprochait à la décision de la Commission de manquer, par cette demande générale de communication, à ses obligations de motivation, le juge de l’Union a considéré qu’il n’en était pas ainsi en rappelant que pour que les exigences de motivation soient respectées, il suffisait que les présomptions d’infractions que la Commission vérifiait, soient décrites avec suffisamment de clarté dans la décision, ce qui était le cas en l’espèce.

Le TUE a ensuite pris le soin de rappeler que rien n’imposait à la Commission de fournir à l’égard de chaque renseignement demandé ou, comme en l’espèce, de chaque mot-clef dont l’application est demandée,

  • une motivation spécifique des raisons pour lesquelles celle-ci estime que ce renseignement ou ce terme de recherche, d’une part, est nécessaire pour son enquête ; et
  • d’autre part, ne contiendrait ou n’identifierait que des informations pertinentes pour cette enquête.

S’agissant par ailleurs de l’argument de Meta selon lequel la décision de la Commission contenait des mots-clés, trop vagues et pas assez précis, ce qui avait pour conséquence de provoquer le recensement d’un grand nombre de documents dénués de pertinence pour l’enquête, le TUE a :

  • à titre liminaire, rappelé que dans l’hypothèse où il devrait considérer certains mots clefs comme étant définis de façon trop vague de sorte qu’ils ne respectaient pas le principe de nécessité, seules les saisies de documents répondant à ces mots clefs devraient être annulées et non l’intégralité des saisies ;
  • considéré que la contestation par Meta des mots-clés retenus par la Commission ne pouvait être globale et, qu’en conséquence, seuls les termes de recherche spécifiquement contestés dans son recours par Meta pouvaient être soumis à son contrôle, validant ainsi l’ensemble des autres termes non contestés par Meta ; et enfin
  • s’agissant des mots-clés jugés trop vagues soumis à son appréciation (tels que « big question », « for free », « not good for us » ou encore « shut down »), considéré que Meta n’avait pas établi la violation du principe de nécessité à leur égard, après avoir en particulier relevé que ces termes se retrouvaient dans les documents saisis.

b. S’agissant ensuite de la procédure relative à l’utilisation par la Commission d’une salle de données virtuelle (data room) aux fins de protection de la vie privée des personnes concernées, le juge de l’Union a, pour la première fois, validé cette pratique en considérant qu’elle permettait de suffisamment protéger le droit au respect de la vie privée des personnes concernées par ces demandes (et notamment leurs données personnelles à caractère sensible), tout en permettant aux enquêteurs de réaliser un examen des pièces litigieuses.

La procédure en question, telle que décrite dans la décision de la Commission, est plus particulièrement la suivante :

  • les documents protégés sont transmis à la Commission sur un support électronique séparé et placé dans une salle de données virtuelle accessible seulement à un nombre restreint de membres de l’équipe chargée de l’enquête en présence des avocats de Meta en vue de la sélection des documents à verser au dossier ;
  • un mécanisme d’arbitrage est en outre prévu en cas de désaccord persistant sur la qualification d’un document ;
  • les documents protégés peuvent, en outre, être transmis à la Commission sous une forme expurgée des noms des personnes concernées et de toute information permettant leur identification, sous réserve néanmoins que la version originale de ces documents soit en parallèle transmise à La Commission.

Pour finir, on relèvera également que le TUE rappelle, s’agissant du traitement des données à caractère personnel, qu’en application du règlement 2018/1725 (RGPD), les institutions de l’Union peuvent légalement traiter des données à caractère personnel lorsque cela est nécessaire à l’exécution d‘une mission d’intérêt public ou relève de l’autorité publique dont sont investies ces institutions, conditions réunies dans le cadre de la décision attaquée.

  • Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 15 – ordonnance n° 22/11616 en date du 5 avril 2023, société Logista France SAS c/ Autorité-de la concurrence

Par ordonnance du 5 avril 2023, le Premier président de la Cour d’appel de Paris a, dans une affaire ayant donné lieu à des OVS diligentées par l’Autorité dans le secteur des solutions globales de caisse et des produits et services associés destinés aux commerces de tabacs et de presse, déclaré irrégulière et annulé la saisie de plusieurs fichiers de messageries en rappelant l’encadrement légal strict auquel sont soumises les OVS.

Dans cette affaire, le Service investigation de l’Autorité qui suspectait des pratiques d’abus de position dominante, avait, à l’issue d’OVS réalisées dans les locaux de la société Logista France, exigé de cette société qu’elle lui remette volontairement le contenu de plusieurs messageries dans un délai de sept jours de la clôture des OVS.

Saisi d’un recours contre le déroulement de ces OVS par l’entreprise visitée, le Premier président de la Cour d’appel de Paris, dans son ordonnance – après avoir notamment relevé que l’engagement de remise de ces pièces pris par la société visitée semblait plus contraint que volontaire, a rappelé que :

  •  les OVS sont strictement encadrées par les dispositions de l’article L.450-4 du Code de commerce qui ne prévoient pas la possibilité de remise volontaire de pièces après la clôture des OVS ;
  • la remise volontaire de documents n’est prévue que par l’article L.450-3 du Code de commerce (enquêtes dites légères, sans autorisation du Juge des Libertés et de la Détention – JLD) qui n’est pas applicable en l’espèce.

Selon le Premier président de la Cour d’appel, cette remise de documents était en conséquence intervenue en dehors de tout cadre légal, ce qui privait la société visitée des garanties procédurales attachées auxdites opérations concernant la protection des droits de la défense, du droit au respect de la vie privée et de la correspondance (et notamment vérification du champ de l’ordonnance et procédure de scellés provisoires fermés) et, justifiait le prononcé de l’annulation de la saisie des fichiers de messagerie.

Prochaine Note d’actualité consacrée à l’arrêt de la CJUE du 8 décembre 2022 procédant à une extension de « legal privilege » aux consultations d’un avocat qui ne sont pas liées à l’exercice des droits de la défense.

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