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Une proposition de loi visant à « rééquilibrer les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs » est actuellement en cours d’examen devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.

Le 30 juin 2020 une proposition de loi sur la négociation commerciale, visant plus précisément à rééquilibrer les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs, a été initiée par un certain nombre de députés dont M. Grégory Besson-Moreau.

Cette proposition de loi n° 3150, qui s’inscrit dans la continuité de la Commission d’enquête sur la grande distribution, a été renvoyée à la Commission des affaires économiques début juillet et devrait être débattue probablement devant l’Assemblée nationale à l’automne prochain.

Selon ses auteurs, cette proposition qui a pour objectif premier la rémunération des agriculteurs au juste prix, apparait aujourd’hui et plus que jamais « indispensable dans un contexte de crise économique imminente » où il est nécessaire de « mettre en place des mécanismes susceptibles d’empêcher une aggravation de la guerre des prix ».

Cette recherche de prix plus « juste » et de « prix éthique » passe ainsi par davantage de contraintes juridiques, contraintes pesant en majorité sur les acteurs de la grande distribution.

L’article 1 de la proposition de loi a vocation à assujettir les accords relatifs à la fourniture de produits alimentaires de marque distributeur (MDD) au même formalisme contractuel que les produits de marque, en modifiant l’actuel article L.441-7 du code de commerce.

En conséquence, ces accords devront mentionner, outre les conditions générales de vente du fournisseur (ou plutôt ici de fabrication car le contrat conclu en matière de produits MDD n’est pas un contrat de vente), le chiffre d’affaires prévisionnel, les engagements de volume de produits alimentaires du distributeur ainsi que la prise en compte par l’acheteur des efforts d’innovation du fournisseur, dans la détermination du prix.

L’article 2 vise à encadrer la création de centrales d’achat et/ou de services et d’alliances à l’achat dès lors que la part de marché cumulée de ses membres paraît de nature à porter atteinte à la libre concurrence et à l’équilibre des relations commerciales sur le marché des produits alimentaires et non alimentaires.

L’Autorité de la concurrence serait ainsi chargée de fixer un seuil correspondant aux parts de marché cumulées au-delà duquel les rapprochements ne pourraient être autorisés.

Tout accord visant à la création de centrales d’achat ou de services et d’alliances à l’achat devrait ainsi obligatoirement être notifié à l’Autorité de la concurrence et la réalisation d’un tel accord ne pourrait intervenir qu’après approbation préalable de l’Autorité comme en matière de concentrations aujourd’hui.

L’article 3 vise à modifier la rédaction actuelle de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime afin de mettre davantage en évidence l’obligation qui incombe aux interprofessions d’élaborer et de diffuser des indicateurs de coût de production.

L’article 4 prévoit la création d’un index qui serait publié et actualisé mensuellement par l’Insee. Cet index tiendrait notamment compte de l’évolution des matières premières agricoles et non agricoles, des coûts de l’énergie, des coûts salariaux et des coûts résultant de la gestion d’une situation d’urgence sanitaire ou d’une catastrophe naturelle.

Cet index des prix agricoles et alimentaires aurait ainsi vocation à permettre de modifier les prix parallèlement à son évolution.

Le dispositif prévoit en outre qu’en cas de variation importante de cet index, une renégociation du prix devrait s’opérer entre le distributeur et le fournisseur. Il est également prévu qu’un tiers de confiance privé soit désigné par les industriels et la grande distribution pour s’assurer, qu’en cas d’évolution favorable du prix entraînant une rémunération des industriels plus forte, cette évolution soit prise en compte dans les contrats amont de vente de produits agricoles.

L’article 5 encadre les conditions dans lesquelles des pénalités logistiques peuvent être infligées par le distributeur à un fournisseur. Selon le nouvel article proposé, seules les situations ayant entrainé des ruptures de stocks chez le distributeur pourraient justifier l’application de telles pénalités, la charge de la preuve du manquement pesant sur le distributeur. De plus, les pénalités logistiques seraient plafonnées. Elles ne pourraient dépasser un montant correspondant à un pourcentage du prix d’achat des produits concernés.

Le texte proposé prévoit également qu’aucune pénalité logistique ne pourra être infligée pendant la période où l’état d’urgence sanitaire est déclaré.

L’article 6 prévoit une modification de la rédaction de l’article L.441-1 actuel du code de commerce. Selon l’exposé des motifs, cette modification aurait pour objectif de « clarifie[r] la notion de négociabilité du tarif, qui n’est pas remise en cause, mais qui doit être justifiée par des contreparties vérifiables et quantifiables, afin de garantir une juste proportionnalité entre d’une part les obligations et services consentis par les distributeurs et d’autre part les réductions de prix consenties par le fournisseur ».

La notion de contrepartie proportionnée ou justifiée figurerait ainsi à deux reprises dans le Code de commerce et non plus seulement dans la section relative aux pratiques restrictives de concurrence (article L.442-1, I, 1° du Code de commerce issu de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019).

Cette proposition a pour effet de limiter la libre négociabilité des tarifs issue de la LME du 4 août 2008 qui a donné lieu aux dérives que nous connaissons, en réintroduisant la notion de contreparties objectives et quantifiables pour éviter toute disproportion financière.

Il y a là un enjeu de politique générale car souhaite-t-on revenir sur la LME ou au contraire laisser de la liberté aux opérateurs économiques ; c’est là une vraie question !

L’article 7 de la proposition de loi concerne les alliances internationales. Il crée une obligation de préciser, dans la convention écrite conclue en France, tout service ou obligation relevant d’un accord avec des entités internationales liées directement ou indirectement au distributeur concerné, dès lors que ces obligations sont rattachables à des produits mis sur le marché dans une surface de vente du distributeur implantée en France.

Il faut bien reconnaitre qu’il y a ici un sérieux trou dans la raquette avec des accords internationaux qui se multiplient et une délocalisation des négociations hors de France…

L’article 8 crée, quant à lui, une obligation pour les distributeurs de répertorier les services de coopération commerciale et autres obligations qu’ils proposent aux fournisseurs, au niveau français comme international. Il contraint également les distributeurs à établir et communiquer un barème des prix exigés pour ces services.

De notre côté, nous ne sommes pas favorables à une « barèmisation » des services (discussion qui avait déjà eu lieu en 1992/1993 pour celles et ceux qui s’en souviennent), dont la rémunération doit au contraire être calculée en fonction des produits concernés, de leur image de marque, de la période envisagée, de l’intérêt que cela représente pour le fournisseur concerné, etc. A notre connaissance, l’administration ne s’est d’ailleurs jamais prononcée pour la création d’un tel barème.

Cette proposition de loi qui met l’accent sur le prix et la contrepartie, devra en tout état de cause d’abord convaincre le Parlement avant d’être adoptée !

Par :
Jean-Christophe Grall, Avocat à la Cour

Audrey Illouz, Avocat à la Cour

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