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Que prévoit la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs adoptée en séance publique par le Sénat le 22 septembre 2021 ?

« Proposition de loi Besson-Moreau » ou encore « Proposition de loi Egalim II », les dénominations pour désigner le texte qui vient d’être débattu les 21 et 22 septembre en séance publique par le Sénat sont multiples. Que prévoit cette proposition de loi ? Qu’impliquera sa mise en œuvre pour les opérateurs de la chaîne agroalimentaire ? Quels ont été les apports du Sénat ?   Ce texte complexe qui sera probablement adopté très prochainement à l’issue de la Commission mixte paritaire qui doit se réunir début octobre, juste avant le début des négociations commerciales, soulève encore de nombreuses questions.   La présente note d’actualité a pour ambition de présenter cette proposition de loi, dans sa version adoptée en séance publique par le Sénat le 22 septembre 2021[1], et d’apporter quelques clés de lecture pour les opérateurs économiques qui devront, demain, se conformer à ces nouvelles dispositions.   La proposition de loi venant modifier très largement les règles applicables aux contrats conclus par les différents acteurs de la chaîne agroalimentaire tant à l’amont, entre le producteur agricole et son premier acheteur, qu’à l’aval, entre le fournisseur de denrées alimentaires et ses clients, cette note d’actualité sera divisée en deux parties :   Une première partie relative à l’amont agricole, qui intéressera les producteurs agricoles et les opérateurs économiques qui achètent directement à ces derniers (I.) ;   Une seconde partie relative à l’aval de la chaîne agroalimentaire, qui intéressera davantage les fournisseurs et leurs acheteurs (II.).   À noter que la proposition de loi comporte également des dispositions relatives à l’information des consommateurs (« rémunérascore », indication d’origine, mention « savoir-faire français », publicité relative aux opérations de dégagement, etc.) que nous ne développerons pas ici mais qui n’en demeurent pas moins, tout aussi importantes.

L’amont agricole

L’article 1er de la proposition de loi qui vient modifier la section du Code rural et de la pêche maritime (ci-après « CRPM ») relative aux contrats de vente de produits agricoles et en particulier, l’article L.631‑24 du CRPM, n’a pas subi de profond changement de la part du Sénat.

En synthèse, la proposition de loi prévoit la modification de l’article L.621-24 du CRPM en imposant au producteur agricole qui livre ses produits agricoles sur le territoire français de conclure un contrat écrit et pluriannuel avec son « premier acheteur » (qui sera généralement un transformateur mais pourra également être un distributeur).

Il s’agit d’une véritable nouveauté pour l’amont agricole puisqu’aujourd’hui, les contrats de premier niveau (entre producteurs agricoles et premiers acheteurs) n’ont, par principe[2], pas l’obligation d’être conclus sous forme écrite et donc, de respecter l’article L.631-24 du CRPM[3].

Une fois ce nouveau texte entré en vigueur, les producteurs agricoles et leurs premiers acheteurs n’auront plus d’autre choix que de conclure un contrat écrit[4] dans le cas où les produits seront livrés sur le territoire français. Ainsi, le producteur agricole devra adresser à son premier acheteur une proposition de contrat[5], lequel constituera le socle de la négociation entre les parties.

Les clauses devant figurer a minima dans cette proposition de contrat puis dans le contrat conclu[6] sont listées au III de l’article L.631-24 du CRPM. Trois nouveautés relatives au contenu du contrat, instaurées par l’article 1er de la proposition de loi, méritent une attention particulière :

  • Le contrat devra être conclu pour une durée minimum de trois ans. Cette durée minimale pourra être portée à cinq ans par extension d’un accord interprofessionnel ou, à défaut, par décret en Conseil d’État. Par exception, les dispositions relatives à la durée minimale du contrat ne sont toutefois pas applicables aux produits soumis à accises ainsi qu’aux raisins, moûts et vins dont ils résultent.
  • Lorsque le prix convenu est un prix « déterminé », le contrat devra désormais comporter une clause relative « aux modalités de révision automatique, à la hausse ou à la baisse, de ce prix, selon une formule librement déterminée par les parties ».

Soulignons que la proposition de loi donne une place prépondérante aux indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à l’évolution de ces coûts dans la construction du prix, que celui-ci soit déterminé ou déterminable.

En effet, conformément à l’article L.631-24 du CRPM tel que modifié par la proposition de loi, un ou plusieurs indicateurs de coûts de production devront figurer dans la proposition de contrat qui émane du producteur agricole et être pris en compte au titre des critères et modalités de révision du prix (lorsqu’il s’agit d’un prix déterminé) ou de détermination du prix (lorsqu’il s’agit d’un prix déterminable).

Puis, au stade du contrat, et afin de définir les critères et modalités de révision ou de détermination du prix, les parties devront intégrer, outre le ou les indicateurs de coûts de production issus de la proposition, les deux autres catégories d’indicateurs, à savoir : un ou plusieurs indicateurs relatifs aux prix des produits agricoles et alimentaires constatés sur le ou les marchés sur lesquels opère l’acheteur et à l’évolution de ces prix et un ou plusieurs indicateurs relatifs aux quantités, à la composition, à la qualité, à l’origine et à la traçabilité des produits ou au respect d’un cahier des charges.

  • La proposition de loi est par ailleurs venue préciser qu’en cas de calamité agricole ou d’aléa sanitaire exceptionnel indépendant de la volonté des parties, aucune pénalité ne pourra être imposée au producteur qui ne respecterait pas les volumes prévus au contrat.

Quelques dérogations à cette obligation de contractualisation écrite sont prévues par le texte. Il est prévu en particulier qu’un décret en Conseil d’État pourra fixer un ou plusieurs seuils de chiffre d’affaires – qui pourront être adaptés par produit ou catégories de produits – en‑dessous desquels l’article L.631-24 du CRPM ne sera pas applicable aux producteurs ou aux acheteurs. Par ailleurs, un accord interprofessionnel étendu (ou en l’absence d’accord étendu, un décret en Conseil d’État pris après avis des organisations interprofessionnelles compétentes[7]) pourra venir exclure certains produits de ce dispositif[8].

  Quelles nouveautés s’agissant des indicateurs ?   Les indicateurs qui servent d’« indicateurs de référence » devront être élaborés et « publiés » (et non plus simplement « diffusés ») par les organisations interprofessionnelles. À défaut de publication des indicateurs de référence par l’organisation interprofessionnelle dans les quatre mois qui suivent la promulgation de la loi, les instituts techniques agricoles auront la charge de les élaborer et de les publier.   Le Sénat a par ailleurs prévu, s’agissant des organisations interprofessionnelles du secteur du sucre, que celles-ci élaborent et publient des indicateurs de référence et ce, quand bien même les contrats passés avec les entreprises sucrières par les producteurs de betteraves ou de canne à sucre ne sont pas soumis aux articles L.631-24 à L.631-24-2 du CRPM.   La proposition de loi prévoit également que l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) publiera une synthèse trimestrielle reprenant l’ensemble des indicateurs, rendus publics, relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture.   En revanche, s’agissant de l’obligation de faire référence à des indicateurs à l’aval, l’article L.443‑4 du Code de commerce demeure applicable et n’a pas fait l’objet de modification par la proposition de loi.  

Toujours s’agissant de l’amont agricole, le Sénat a maintenu le dispositif d’expérimentation d’un tunnel de prix créé par l’Assemblée nationale (article 1er bis), en ajoutant toutefois une sanction[9] pour les opérateurs concernés qui ne respecteraient pas la mise en œuvre de cette expérimentation.

Enfin, le Sénat a prévu que le Gouvernement devra remettre au Parlement deux rapports :

  • Un premier, six mois après la promulgation de la loi, ayant pour objet d’évaluer l’opportunité de mener une réforme d’ampleur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 dite « LME », « au regard de l’impérieuse nécessité de redonner aux agriculteurs un cadre législatif leur permettant de pouvoir vivre dignement de leur métier » (article 1er A), et
  • Un second, dans un délai d’un an après l’entrée en vigueur des articles 1er et 2 de la proposition de loi, sur l’adéquation des dispositifs que ces articles mettent en œuvre avec les spécificités du modèle coopératif agricole (article 1er bis A).

L’article 3 relatif à la création d’un comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA) compétent pour les litiges relatifs aux contrats de premier niveau (amont agricole) a quant à lui été maintenu par le Sénat, mais les modalités de saisine de ce comité ont été quelque peu modifiées puisque ce dernier pourra désormais être saisi, en cas d’échec de la médiation, uniquement par les parties au litige et non plus par le médiateur comme l’avait prévu l’Assemblée nationale.

En outre, les parties au litige auront le choix entre saisir ce comité ou saisir le juge, comme elles peuvent déjà le faire aujourd’hui en cas d’échec de la médiation, option qui avait été supprimée par l’Assemblée nationale.

Enfin, la composition du Comité a été quelque peu modifiée par le Sénat puisque la personnalité ayant exercé son activité dans le secteur de la distribution est remplacée par une (seconde) personnalité choisie en raison de sa compétence en matière d’économie agricole.

Quant aux dates d’entrée en vigueur, comme l’avait prévu l’Assemblée nationale, l’article 1er sera applicable aux accords-cadres et contrats conclus à compter d’une date fixée par décret, pour chaque filière, et au plus tard le 1er janvier 2023[10]. Ceux en cours à la date d’entrée en vigueur devront être mis en conformité avec l’article L.631-24 du CRPM lors de leur prochain renouvellement et au plus tard un an après l’entrée en vigueur de l’article 1er. L’article 3 sera pour sa part applicable dès le lendemain de la publication de la loi, sauf pour les médiations en cours à la date de publication.

L’aval de la chaîne agroalimentaire

Si les modifications apportées par le Sénat par rapport au texte de l’Assemblée nationale concernant l’amont agricole sont peu nombreuses, les dispositions relatives à l’aval ont, pour leur part, été particulièrement modifiées par les travaux du Sénat et de sa Commission des affaires économiques.

L’article 2 a ainsi été complétement retravaillé.

Notons que, s’agissant du champ d’application de cet article, la notion de « produits alimentaires » a été remplacée par celle de « denrées alimentaires » et que le Sénat est venu étendre l’application de cet article aux produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie.

Sur le fond, si le principe de non-négociabilité des matières premières agricoles a été maintenu, celui de transparence a été largement remanié.

Pour mémoire, le texte adopté par l’Assemblée nationale le 24 juin dernier prévoyait la création d’un nouvel article L.441-1-1 dans le Code de commerce, régissant le contenu des Conditions générales de vente (ci‑après « CGV ») de fournisseurs de denrées alimentaires. Ce texte donnait la possibilité aux fournisseurs de choisir entre trois options pour la rédaction de leurs CGV. Le Sénat n’en a maintenu que deux, tout en les modifiant légèrement :

  • Nouvelle option n° 1 : Présenter dans les CGV la part agrégée des matières premières agricoles et des produits transformés composés de plus de 50% de matières premières agricoles, entrant dans la composition des denrées alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, sous la forme d’un pourcentage du volume de ladite denrée et d’un pourcentage du tarif du fournisseur.

Dans cette hypothèse, l’acheteur pourra, à ses frais, demander au fournisseur de mandater un tiers indépendant pour attester l’exactitude des éléments figurant dans les CGV, étant précisé que le Sénat est venu encadrer par des délais la remise des documents justificatifs par le fournisseur au tiers indépendant (sous cinq jours) et la remise de l’attestation par le tiers à l’acheteur (dix jours à compter de la réception des pièces justificatives par le fournisseur).

  • Nouvelle option n° 2 : Prévoir, sous réserve que les CGV fassent état d’une évolution du tarif fournisseur par rapport à l’année précédente, l’intervention d’un tiers indépendant chargé de certifier la part de cette évolution qui résulte de l’évolution du prix des matières premières agricoles ou des produits transformés composés de plus de 50% de matières premières agricoles.

À noter que le Sénat a prévu qu’un décret vienne préciser les modalités de ce nouvel article L.441-1-1 et notamment apporter une définition du tiers indépendant.

Exit donc la première option qui avait été prévue par l’Assemblée nationale et qui laissait la possibilité aux opérateurs d’être totalement transparents et d’indiquer la part individuelle que représente chaque matière première agricole et chaque produit transformé composé de plus de 50% de matières premières agricoles dans leurs produits.

Les débats lors de la séance publique du Sénat sur cette suppression ont été animés. En effet, si la Rapporteure de la Commission des affaires économiques du Sénat, Mme Anne‑Catherine Loisier, a soutenu que « L’option 1 n’apporte rien » et qu’au contraire « cette option donnera des armes à la grande distribution », le Ministre de l’Agriculture, M. Julien Denormandie, considère que cette première option comme étant « très importante, notamment pour une PME, car elle dispense de recourir à un tiers de confiance »[11].

Exit également le seuil de 25%.

En effet, ceux qui ont suivi l’évolution du texte se souviendront que l’Assemblée nationale avait initialement prévu que seules les matières premières agricoles et les produits transformés qui représentent plus de 25 % du produit fini, en volume, seraient soumises aux principes de transparence et de non-négociabilité.

Le Sénat est venu supprimer ce seuil afin que toutes les matières premières agricoles et les produits transformés composés de plus de 50% de matières premières agricoles qui entrent dans la composition de la denrée alimentaire soient concernés par le dispositif. Pour reprendre l’exemple du Ministre de l’Agriculture, même le zeste de citron sur un cake sera donc concerné !

Le Ministre de l’Agriculture était pourtant fermement opposé à la suppression de ce seuil : « Pour définir la matière première non négociable, le seuil de 25 % est utile – tel est l’objet de l’amendement n° 95. Sans ce seuil, l’application de la loi serait drastiquement compliquée. Oui, tout ne sera pas pris en compte. Mais est-ce grave pour le zeste de citron qui décore le cake ? Les plus gros postes – le lait, la viande – où il y a le plus de tensions, le seront. J’insiste, il faut rétablir l’option supprimée par la commission et faciliter l’application de la loi avec les 25 %. »[12].

Un vif débat est donc à attendre sur ce point au niveau de la Commission mixte paritaire…

Si le principe de transparence constitue indéniablement la grande nouveauté apportée par la proposition de loi en matière de CGV, ce n’est pas la seule. N’oublions pas qu’il est également toujours prévu dans le texte du Sénat que le fournisseur devra indiquer dans ses CGV si un contrat de vente a été conclu en application de l’article L.631-24 du CRPM portant sur les matières premières agricoles entrant dans la composition des produits.

L’on peut enfin féliciter le Sénat qui a eu la volonté de tenir compte des petites entreprises en précisant qu’un décret pourra définir des conditions d’application de l’article L.441-1-1 adaptées à la taille de l’entreprise, en particulier pour les très petites, petites et moyennes entreprises, sous réserve des volumes qu’elles traitent.

S’agissant ensuite de la convention écrite qui devra être conclue demain entre un fournisseur de denrées alimentaires ou de produits relevant du petfood et son acheteur, le Sénat est venu apporter les modifications suivantes au nouvel article L.443-8 du Code de commerce :

  • Le principe de la contrepartie à la ligne figure désormais directement dans cet article et a donc vocation à s’appliquer aux convention conclues entre fournisseurs et acheteurs (hors grossistes) portant sur les denrées alimentaires et produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie qui seront soumis à cet article (donc toutes les denrées alimentaires et le petfood, a priori, sauf les produits qui pourront être exclus par décret du champ d’application de l’article L.443-8 comme notamment les fruits et légumes destinés à être revendus à l’état frais ou encore les vins et spiritueux)[13].

Pendant de ce principe, le principe de non-discrimination ajouté par la proposition de loi à l’article L.442-1, I, 4° du Code de commerce est également maintenu et étendu, par le Sénat, à toutes les denrées alimentaires et tous les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie[14] (article 2 bis D).

  • Le principe de « non-négociabilité » est toujours présent dans le nouvel article L.443-8 du Code de commerce, bien que la rédaction ait quelque peu changé depuis l’Assemblée nationale.

Ainsi, selon l’option choisie par le fournisseur dans ses CGV, la négociation commerciale ne devra pas porter (i) sur la part agrégée, dans le tarif du fournisseur, du prix des matières premières agricoles et des produits transformés composés de plus de 50% de matières premières agricoles ou (ii) si le fournisseur a fait le choix de faire intervenir un tiers indépendant, sur la part de l’évolution tarifaire liée à l’évolution du prix des matières premières agricoles.

Malheureusement, ni le changement de rédaction, ni les échanges en séance publique n’ont permis d’apporter les éclaircissements nécessaires quant aux modalités de mise en œuvre de ce nouveau principe. Il serait donc intéressant que le Gouvernement et les Parlementaires apportent des précisions opérationnelles sur la façon dont ce principe de non-négociabilité devra être appliqué en pratique et ce, dès les négociations commerciales 2022 !

  • La convention écrite doit toujours comporter une clause de révision automatique des prix du contrat en fonction de la variation du coût de la matière première agricole entrant dans la composition de la denrée alimentaire et du produit destiné à l’alimentation des animaux de compagnie. Le Sénat est en outre venu préciser que « lorsque l’acquisition de la matière première agricole par le fournisseur fait l’objet d’un contrat écrit en application du I du même article L.631-24-1, la clause de révision inclut obligatoirement les indicateurs relatifs aux coûts de production en agriculture ».

En tout état de cause, cette clause de révision doit toujours être librement déterminée par les parties, ce qui promet de longues discussions dans les box de négociations.

  • L’on peut par ailleurs se féliciter que le Sénat soit venu supprimer la disposition qui figurait dans le texte initial de la proposition de loi et qui prévoyait l’obligation pour les fournisseurs de produits alimentaires de faire figurer sur leurs factures les indicateurs utilisés ; obligation qui nous apparaissait inutile et impossible à mettre en œuvre en pratique.

Enfin, en termes de délais des négociations commerciales, le Sénat a fait machine arrière puisque la date butoir pour l’envoi des CGV par le fournisseur de denrées alimentaires et de produits relevant du petfood restera le 1er décembre[15], avec un délai d’un mois laissé au distributeur pour adresser ses observations écrites et motivées au fournisseur et une date butoir pour la signature de la convention qui reste inchangée, au 1er mars.

Si des interrogations pouvaient naître du texte de l’Assemblée nationale en termes de dates d’entrée en vigueur de l’article 2[16], le Sénat est venu clarifier ce point et réaffirmer la volonté que ce texte s’applique aux négociations commerciales 2022. Ainsi, les CGV communiquées à compter du premier jour du mois suivant la publication de la loi seront soumises au nouvel article L.441-1-1 du Code de commerce et les conventions conclues sur la base de négociations commerciales fondées sur des CGV conformes au nouvel article L.441-1-1 seront soumises au nouvel article L.443-8 et au principe de non‑discrimination. À compter du 1er janvier 2022, les conventions devront être conclues à la suite de négociations commerciales fondées sur des CGV conformes au nouvel article L.441-1-1 et seront soumises au nouvel article L.443-8 et au principe de non-discrimination. Les conventions en cours qui n’auraient pas été conclues conformément à l’article L.443-8 devront quant à elles être mises en conformité avec les dispositions de cet article au plus tard le 1er mars 2023.

  • Les conventions qui seront conclues postérieurement au 1er janvier 2022 devront donc être conformes au nouveau dispositif et les négociations en cours sur la base d’anciennes CGV non conformes devront être reprises sur la base de nouvelles CGV conformes.

En outre, il convient également de relever, parmi les avancées importantes issues des débats devant le Sénat, les modifications suivantes :

  • La modification de l’article L.441-8 du Code de commerce relatif à la clause de renégociation devant figurer dans les contrats de certains produits agricoles et alimentaires listés par décret devenue sans objet dès lors que les contrats portant sur les produits agricoles et alimentaires devront désormais comporter une clause de révision automatique des prix du contrat en fonction des variations du coût de la matière première agricole. Cette modification vise ainsi à prévoir l’obligation de faire figurer dans les contrats d’une durée supérieure à 3 mois, portant sur la vente de produits agricoles et de denrées alimentaires, dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix de l’énergie, du transport et des emballages, une clause de renégociation du prix permettant de prendre en compte ces fluctuations à la hausse comme à la baisse (article 2 bis AA) ;
  • La modification de l’article L.441-7 du Code de commerce relatif aux contrats portant sur la conception et la production de produits alimentaires vendus sous marque de distributeur (MDD) qui devront désormais être conclus pour une durée minimale de trois ans (article 2 bis  B).

Comme cela sera le cas pour les contrats portant sur des produits de marques nationales, les contrats MDD devront comporter une clause de révision automatique des prix en fonction de la variation du coût de la matière première agricole entrant dans la composition des produits alimentaires.

Le Sénat est par ailleurs venu largement encadrer le formalisme des contrats MDD (engagements sur des volumes prévisionnels, prise en compte par le distributeur des efforts d’innovation du fournisseur, durée du préavis ou encore clause de répartition des coûts additionnels survenant au cours de l’exécution du contrat). Cela va donc bien plus loin que ce qu’avait prévu l’Assemblée nationale puisque cette dernière avait seulement envisagé que le contrat et l’appel d’offres devaient comporter des engagements sur les volumes prévisionnels. Le Ministre de l’Agriculture a d’ailleurs, au cours des débats du Sénat, salué à plusieurs reprises l’important travail réalisé par la Commission des affaires économiques du Sénat sur les produits MDD.

Cet article entrera en vigueur le 1er janvier 2022 et les conventions en cours à la date d’entrée en vigueur de cet article devront être mises en conformité au plus tard le 1er janvier 2023.

  • Le renforcement de l’encadrement des pénalités logistiques. Le Sénat a prévu la modification de l’article L.442-1, 3° du Code de commerce pour interdire aux distributeurs « 3° D’imposer des pénalités logistiques ne respectant pas l’article L.441-17 ». Et force est de constater que ce nouvel article L.441-17, créé par le Sénat, est particulièrement précis sur ce que pourra faire ou ne pas faire le distributeur en matière de pénalités logistiques ; pénalités logistiques qui devront, en tout état de cause, être proportionnées au préjudice subi au regard de l’inexécution d’engagements contractuels. Le Sénat a également prévu la création d’un nouvel article L.441-18 qui rappelle qu’en cas d’inexécution d’un engagement contractuel du distributeur, le fournisseur peut lui infliger des pénalités – ce qui n’arrive que très rarement, pour ne pas dire jamais, en pratique – et fixe les conditions que devront respecter ces pénalités (article 2 bis C).
  • L’inscription d’un principe de réciprocité des délais de paiement à l’article L.441-10 du Code de commerce. En séance publique, le Sénat est venu ajouter à cet article l’interdiction, pour un distributeur, d’appliquer des délais de paiement plus courts pour le paiement de ses factures de services, ses RFA voire ses pénalités que les délais de paiement appliqués par le fournisseur pour le paiement de ses factures de vente de produits. Cette interdiction ne vise toutefois que l’exécution des conventions mentionnées à l’article L.441-4 du Code de commerce, c’est-à-dire les contrats conclus entre fournisseurs de produits de grande consommation (PCG) et distributeurs (hors grossistes) (article 2 bis EA).
  • Enfin, s’agissant du relèvement du seuil de revente à perte (SRP), le Sénat a maintenu la modification apportée par l’Assemblée nationale s’agissant des modalités de calcul du relèvement du SRP pour les spiritueux[17] et est venu préciser que la hausse du seuil de revente à perte de 10% ne s’appliquera plus pour les fruits et légumes frais (Article 2 bis E).

*     *     *

Au regard des longs débats qui ont eu lieu en séance publique du Sénat les 21 et 22 septembre, nul doute que les discussions lors de la Commission mixte paritaire seront très animées. En effet, le texte adopté par le Sénat ce 22 septembre diverge sur plusieurs points par rapport au texte adopté par l’Assemblée nationale le 24 juin dernier. La Commission mixte paritaire arrivera-t-elle à trouver un compromis ?

Rendez-vous dans quelques jours.


[1]      Voir le texte du Sénat.

[2]      La contractualisation écrite obligatoire existe déjà dans la filière du lait cru de vache et existera également demain dans la filière du lait cru de chèvre (arrêté du 26 juillet 2021).

[3]      En revanche, l’actuel article L.631-24 du CRPM prévoit que, lorsqu’ils sont conclus sous forme écrite, ces contrats doivent respecter les dispositions de cet article.

[4]      Dans l’hypothèse où le producteur donne mandat à une organisation de producteurs (OP) reconnue ou à une association d’organisations de producteurs (AOP) reconnue, pour négocier la commercialisation de ses produits sans qu’il y ait transfert de propriété, un accord-cadre écrit devra être conclu par l’OP ou l’AOP avec l’acheteur, avant que le producteur ne conclue un contrat directement avec l’acheteur. Cet accord-cadre devra alors être conforme à l’article L.631-24 du CRPM et notamment comporter les clauses prévues aux III et IV de cet article.

[5]      Si le producteur a donné mandat à une OP reconnue ou à une AOP reconnue, l’OP ou l’AOP devra adresser une proposition d’accord-cadre à l’acheteur.

[6]      À titre de simplification, nous viserons ici le contrat. Toutefois, lorsque le producteur a donné mandat à une OP reconnue ou à une AOP reconnue, l’accord-cadre conclu par l’OP ou l’AOP avec l’acheteur devra également comporter ces clauses.

[7]      Pour les produits pour lesquels il n’existe pas d’interprofession représentative, une organisation professionnelle représentant des producteurs pourra faire une demande motivée pour déroger à l’obligation de contractualisation écrite et pluriannuelle.

[8]      Cet accord interprofessionnel étendu ou ce décret pourra également prévoir des conditions particulières d’application de l’article L.631-24 du CRPM adaptées à la taille de l’entreprise.

[9]      Le texte fait référence à l’amende administrative prévue à l’article L.631-25 du CRPM dont le montant ne pourra être supérieur à 2% du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice clos ou, dans le cas des OP ou OAP assurant la commercialisation des produits sans transfert de propriété, à 2% du chiffre d’affaires agrégé de l’ensemble des producteurs dont elles commercialiseraient les produits.

[10]    Un amendement discuté en séance publique du Sénat envisageait de remplacer la date du 1er janvier 2023 par celle du 1er juillet 2022. Cet amendement a toutefois été retiré après un avis défavorable de la Rapporteure de la Commission des affaires économiques et du Ministre de l’Agriculture, qui ont considéré ce délai trop court pour certaines filières.

[11]    Compte-rendu des débats au Sénat du 21 septembre 2021.

[12]    Compte-rendu des débats au Sénat du 21 septembre 2021.

[13]    Pour mémoire, l’Assemblée nationale avait inséré ce principe à l’article L.441-3 du Code de commerce et celui-ci avait donc vocation à s’appliquer à tous les produits, à la fois aux distributeurs détaillants et aux grossistes.

[14]    Et non plus seulement à ceux soumis au nouvel article L.441-1-1 du Code de commerce, comme l’avait prévu l’Assemblée nationale.

[15]    L’Assemblée nationale avait envisagé de repousser cette date butoir au 1er janvier.

[16]    Voir notre article « La proposition de loi besson-moreau adoptée par l’Assemblée nationale le 24 juin 2021 : un texte ambitieux mais technique, risquant d’être difficilement applicable pour l’industrie agroalimentaire demain » sur ce point.

[17] Voir notre article « La proposition de loi besson-moreau adoptée par l’Assemblée nationale le 24 juin 2021 : un texte ambitieux mais technique, risquant d’être difficilement applicable pour l’industrie agroalimentaire demain » sur ce point.

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