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Un réel assouplissement des règles antitrust en période de Covid-19 ?

Communication de la Commission européenne :
« Cadre temporaire pour l’appréciation des pratiques anticoncurrentielles dans les coopérations mises en place entre des entreprises pour réagir aux situations d’urgence découlant de la pandémie actuelle de Covid-19 »

Le 8 avril 2020, la Commission européenne a publié une Communication sur l’appréciation anticoncurrentielle des accords de coopérations mis en place entre les entreprises en réaction à la pandémie de Covid-19 (ci-après « la Communication »). Elle fixe les modalités selon lesquelles les entreprises peuvent obtenir des orientations et une assurance écrite que leur coopération est conforme aux règles de concurrence. À titre d’exemple, dès le 8 avril, la Commission a délivré une « lettre administrative de compatibilité » à « Medicines for Europe », anciennement « Association européenne des médicaments génériques », validant la coordination mise en place afin de lutter contre la pandémie.

Cette initiative, qui vise à résorber l’asymétrie entre offre et demande de produits nécessaires dans les circonstances exceptionnelles actuelles, n’est pas exactement un assouplissement des règles antitrust, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, la Communication met en garde explicitement contre toute velléité de tirer parti de cette asymétrie conjoncturelle : « la Commission ne tolèrera pas les pratiques des entreprises qui cherchent de manière opportuniste à exploiter la crise comme un paravent dissimulant une entente anticoncurrentielle ou un abus de position dominante […] ». Autrement dit, en dehors du cadre temporaire fixé par la Communication, la Direction générale de la concurrence ne fera preuve d’aucune souplesse dans l’application des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui sanctionnent les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante.

De plus, si le champ d’application de la Communication semble de prime abord large, celui-ci s’avère, en réalité, relativement restreint. En effet, le paragraphe 7 de la Communication évoque les « produits et services essentiels durant la pandémie de COVID-19 ». Le paragraphe 16 vient encore retreindre ce champ : « Une telle coopération est autorisée dans le contexte des demandes impératives que les pouvoirs publics adressent à des entreprises […] ». En d’autres termes, le champ d’application de la Communication concerne uniquement les médicaments et les produits et services pour lesquels les pouvoirs publics ont expressément demandé le concours du secteur privé.

En outre, la Commission européenne a strictement encadré les conditions dans lesquelles les mesures d’adaptation de la production, de gestion des stocks et de distribution – qui impliquent donc des échanges d’informations sensibles – peuvent être mises en place. Ces mesures doivent être conçues afin d’augmenter réellement la production de la manière la plus efficiente possible (i) ; elles doivent être temporaires (ii) ; elles ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif visé (iii).

Ainsi, un arbitrage est opéré entre, d’une part, la nécessité de favoriser la coordination entre entreprises afin de déterminer, par exemple, quel site produira quel médicament, et d’autre part, assurer que certaines informations sensibles ne circulent pas en violation des règles de concurrence, telles que des informations sur une entreprise particulière à ses concurrents.

Enfin, il est à noter que les entreprises qui entendent coopérer et mettre en place ce type de mesures ont l’obligation de documenter les échanges et accords conclus entre elles et de les tenir à disposition de la Commission si elle en fait la demande. Elles peuvent également solliciter des orientations de la part de la Commission afin de vérifier que leur initiative de coopération respecte les règles de concurrence depuis une boîte aux lettres dédiée (COMP-COVID-ANTITRUST@ec.europa.eu).

Depuis l’entrée en vigueur du Règlement (CE) n° 1/2003, les entreprises ont la responsabilité d’évaluer elles-mêmes la légalité de leurs accords. En période de Covid-19, elles sont invitées à faire preuve d’une transparence accrue lorsqu’elles souhaitent coopérer. En définitive, l’offre d’un cadre favorisant des comportements qualifiables d’anticoncurrentiels en temps normal ne doit pas tromper les entreprises sur la volonté réelle de la Commission, à savoir d’offrir aux entreprises pouvant lutter contre la pandémie des moyens d’action plus efficaces à cette seule fin. Les entreprises qui souhaitent bénéficier de ce cadre devront s’assurer qu’elles remplissent les conditions d’application et veiller à ne pas abuser de cette situation. Ce cadre, temporaire, ne doit pas inciter les entreprises à un relâchement quant à leur comportement au regard des règles de concurrence !

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