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N°7 – Projet Loi Sapin

Projet de loi Sapin II : vers plus de transparence dans les négociations commerciales

A l’issue de son adoption en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit « projet de loi Sapin II », comporte une quinzaine d’articles visant à améliorer la transparence dans les négociations commerciales et ce, principalement dans le secteur agroalimentaire.

Après les lois Hamon du 17 mars 2014 et Macron du 6 août 2015, ce projet de loi entend une nouvelle fois adapter le régime des négociations commerciales tel que les fournisseurs et les distributeurs le connaissent depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008. Ce texte renforce également le dispositif de contractualisation obligatoire dans certains secteurs agricoles instauré par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche dite « LMAP ».

LE RENFORCEMENT DU DISPOSITIF DE CONTRACTUALISATION DANS LE DOMAINE AGRICOLE (ARTICLE 30 C)

L’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime, créé par la LMAP, a instauré pour certains produits agricoles le principe d’une contractualisation obligatoire entre producteurs et acheteurs par l’extension ou l’homologation d’un accord interprofessionnel ou, à défaut, par un décret.

A ce jour, seul le secteur ovin (par un accord interprofessionnel étendu par un arrêté du 15 février 2011) et le secteur du lait de vache ainsi que celui des fruits et légumes frais (en application de deux décrets du 30 décembre 2010), font l’objet d’accords contractuels pris en vertu de ces dispositions. Le secteur du lait de chèvre devrait être la prochaine filière soumise à une contractualisation obligatoire (un accord interprofessionnel signé le 17 mai 2016 est en attente d’une homologation et d’une extension par le ministre de l’Agriculture).

Au sein de ces filières, les contrats entre producteurs et premiers metteurs en marché doivent comporter un certain nombre de clauses listées au quatrième alinéa de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime et notamment des clauses relatives aux prix ou à des critères et modalités de détermination du prix.

A l’avenir, ces critères et modalités de détermination du prix devraient obligatoirement faire référence à des indicateurs publics de coûts de production en agriculture et à des indices publics des prix sur les marchés publiés par l’Observatoires de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ou établis par accords interprofessionnels. Ces indicateurs et indices pourront être nationaux, régionaux ou européens, voire les trois à la fois. Lorsque les contrats individuels découlent d’un accord-cadre, les fluctuations constatées sur les indicateurs ou indices publics retenus par le contrat devront être transmis mensuellement par l’acheteur à l’organisation de producteurs ou à l’association d’organisations de producteurs. Le projet de loi Sapin II reprend ainsi les dispositions de l’article premier de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire adoptée en seconde lecture par le Sénat le 23 mars dernier.

Les députés souhaitaient que ces contrats fassent aussi référence à « un ou plusieurs indices publics du prix de vente des principaux produits fabriqués par l’acheteur » (amendement n° 1358 adopté à l’unanimité par les députés en séance publique avec avis favorable du Gouvernement). Présentée comme « une petite révolution dans la formation du prix » par Monsieur le député Dominique Potier, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, la mention d’un tel indice public dans les contrats aurait permis de prendre en compte, dans le prix de cession entre le producteur et l’acheteur, la valorisation des produits fabriqués par ce dernier à partir des produits agricoles achetés, ce qui est usuellement désignée sous le terme de « mix produit ». Autrement dit, le prix payé au producteur devait être reconnecté au prix de marché du produit fabriqué par l’industriel, à la hausse comme à la baisse, selon les négociations avec les distributeurs. Cependant, les sénateurs ont supprimé cette référence aux indices publics du prix de vente des principaux produits fabriqués par l’acheteur en estimant que celle-ci était contradictoire avec la première partie de l’article 30 C, dont l’objectif est la prise en compte des coûts de production, le risque étant de faire du prix payé au producteur une résultante de la négociation en aval (amendement n° 142 adopté en séance publique par les sénateurs avec avis défavorable du Gouvernement).

Relevons également que de nombreux amendements déposés devant les deux chambres avaient pour objet d’instaurer une date butoir dans la négociation entre les producteurs et leurs acheteurs. Certains parlementaires ont ainsi proposé que cette négociation en amont devait se terminer avant le 30 novembre afin de précéder l’envoi des conditions générales de vente des industriels aux distributeurs. Toutefois, ni l’Assemblée nationale, ni le Sénat n’ont adopté une telle mesure.

Par ailleurs, le projet de loi Sapin II renforce le rôle des organisations de producteurs et des associations d’organisations de producteurs en instaurant une obligation de conclusion d’un accord-cadre entre ces derniers et chaque acheteur, préalablement à la conclusion de contrats individuels entre l’acheteur et chaque producteur. Ce contrat-cadre devrait comporter l’ensemble des clauses mentionnées actuellement au quatrième alinéa de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime et préciser en outre les éléments suivants :

la quantité totale et la qualité à livrer par les producteurs membres de l’organisation ou les producteurs représentés par l’association ainsi que la répartition de cette quantité entre les producteurs ;

les modalités de cession des contrats et de répartition des quantités à livrer entre les producteurs membres de l’organisation ou les producteurs représentés par l’association, sauf en ce qui concerne les contrats laitiers dont la cession est interdite (cf. infra nouvel article L. 631-24-1 du code rural et de la pêche maritime créé par l’article 30 du projet de loi) ;

les règles organisant les relations entre l’acheteur et l’organisation de producteurs ou l’association d’organisations de producteurs ;

les  modalités de la négociation annuelle sur les volumes et  le prix ou les modalités de détermination du prix entre l’acheteur et l’organisation de producteurs ou l’association d’organisations de producteurs. Il serait ainsi prévu un temps de négociation entre l’organisation de producteurs ou l’association d’organisations de producteurs et son acheteur une fois par an. Cette négociation dont la date devra être prévue dans l’accord-cadre doit être tenue en amont de l’envoi des Conditions Générales de Vente (CGV) des industriels aux distributeurs. Selon les promoteurs de ces nouvelles dispositions, cette négociation permettrait aux parties de négocier un prix objectif et les volumes d’achat afin d’éviter des négociations en cours d’année pour requalifier les volumes et le prix payé au producteur (amendement n° COM-4 adopté en commission des affaires économiques du Sénat).

Eventuellement, le contrat-cadre signé entre l’organisation de producteurs et l’association d’organisations de producteurs et l’acheteur, pourra préciser, en sus, les modalités de gestion des écarts entre le volume ou la quantité à livrer et le volume ou la quantité effectivement livré par les producteurs membres de l’organisation ou les producteurs représentés par l’association.

Le non-respect de ces nouvelles dispositions sur l’accord-cadre est susceptible des mêmes sanctions que le non-respect des dispositions sur la contractualisation obligatoire, prévues à l’article L. 631-25 du Code rural et de la pêche maritime soit une amende administrative pour l’acheteur d’un montant plafonné à 75 000 euros par producteur concerné.

Les députés ont en outre prévu qu’un certain nombre d’informations devrait être transmis mensuellement par l’acheteur à l’organisation de producteurs ou à l’association d’organisations de producteurs. Il en serait ainsi des « éléments figurant sur les factures individuelles des producteurs membres ayant donné un mandat de facturation à l’acheteur » et des « indices et données utilisés dans les modalités de détermination du prix d’achat aux producteurs. ». La transmission de ces informations permettrait à l’organisation de producteurs ou à l’association d’organisations de producteurs de contrôler l’application des formules de calcul des prix (amendement n° 1357 adopté par l’Assemblée nationale en séance publique avec avis favorable du Gouvernement).

Par ailleurs, les sénateurs ont ajouté un nouvel alinéa à l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime dont l’objectif est d’encadrer le recours au mandat de facturation. En vertu de ces nouvelles dispositions, celui-ci devrait systématiquement faire l’objet d’un acte écrit autonome du contrat de cession des produits agricoles. Ce mandat serait renouvelé chaque année par tacite reconduction et le producteur pourrait y mettre un terme à tout moment sous réserve de respecter un préavis d’un mois (amendement n° 143 adopté en séance publique avec avis favorable du Gouvernement).

Enfin, tout litige né lors de la conclusion ou de l’exécution d’un tel contrat-cadre devrait faire l’objet d’une procédure de médiation avant toute saisine du juge (amendement n° 1173 adopté en séance publique avec avis favorable du Gouvernement), sauf si le contrat en dispose autrement ou en cas de recours à l’arbitrage, ainsi que le prévoit actuellement le premier alinéa de l’article L. 631-28 du Code rural et de la pêche maritime. Les parties pourront à cet égard se rapprocher du médiateur des relations commerciales agricoles qui se voit doter de la compétence pour examiner cet accord-cadre.

L’INTERDICTION DE LA CESSIBILITE MARCHANDE DES CONTRATS LAITIERS (ARTICLE 30)

Le projet de loi Sapin II entend prohiber temporairement la cession des obligations nées des contrats portant sur l’achat de lait conclus en application de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime, reprenant ainsi une proposition émise par Madame le député Annick Le Loch et Monsieur le député Thierry Benoit dans leur rapport d’information du 30 mars 2016 sur l’avenir des filières d’élevage.

Cette interdiction figurerait au nouvel article L. 631-24-1 du Code rural et de la pêche maritime dont les dispositions sont expressément mentionnées comme étant d’ordre public. Ainsi, pendant une période de sept ans à compter de la publication de la loi Sapin II, les contrats d’achat de lait et les obligations nées de ces derniers ne pourront, à peine de nullité, faire l’objet d’une cession, totale ou partielle, à titre onéreux.

Dans le projet de loi initial présenté par le gouvernement, seul le lait de vache était concerné par cette prohibition. Les sénateurs ont toutefois décidé d’étendre ce dispositif à toute la filière laitière. Or, ainsi que l’a rappelé le ministre de l’Agriculture en séance publique au Sénat, l’extension de cette mesure à l’ensemble de la filière se heurte au principe de la liberté contractuelle. Selon Stéphane Le Foll, la justification de l’incessibilité de ce type de contrat ne serait envisageable que dans le cas précis du lait de vache en raison de la sortie des quotas laitiers, pour les sept années à venir, qui constitue un élément spécifique permettant un tel dispositif. Le risque de censure par le Conseil constitutionnel de cette nouvelle disposition n’est donc pas à exclure.

LE RENOUVELLEMENT DES MISSIONS DE L’OBSERVATOIRE DE LA FORMATION DES PRIX ET DES MARGES DES PRODUITS ALIMENTAIRES (ARTICLES 31 ET 31 BIS G)

Les missions de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires sont fixées à l’article L. 682-1 du Code rural et de la pêche maritime (ex-article L. 692-1 depuis le 1er juillet 2016 – cf. ordonnance n° 2016-391 du 31 mars 2016 recodifiant les dispositions relatives à l’outre-mer du Code rural et de la pêche maritime).

Alors qu’aujourd’hui cet observatoire se contente d’étudier les coûts de production, de transformation et de distribution dans l’ensemble de la chaîne de commercialisation des produits agricoles, les députés et les sénateurs souhaitent qu’il réalise à l’avenir un examen de la répartition de la valeur ajoutée entre les différents acteurs de cette chaîne, les résultats obtenus devant être comparés à l’échelle des principaux pays européens. Pour ce faire, l’Observatoire pourra s’adresser directement aux entreprises afin de récolter les données nécessaires à l’exercice de ses missions.

Avant de remettre son rapport annuel au Parlement, l’Observatoire devrait en outre transmettre aux commissions parlementaires compétentes des informations sur la situation des filières agricoles et agroalimentaires.

Pour chacune des filières étudiées par l’Observatoire, une conférence publique de filière serait désormais organisée avant le 31 décembre de chaque année sous l’égide de l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer. Cette conférence de filière réunirait les représentants des organisations de producteurs, des entreprises et des coopératives de transformation industrielle des produits concernés, de la distribution et de la restauration hors domicile et aurait pour objet d’examiner la situation de l’année en cours et les perspectives d’évolution des marchés agricoles et agroalimentaires concernés pour l’année à venir. Cette réunion de l’ensemble des représentants des acteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire devra aboutir à une estimation de l’évolution des coûts de production en agriculture pour l’année n+1. Les filières concernées et la composition de la conférence seront définies par un décret (nouvel article L. 631-27-1 du Code rural et de la pêche maritime). On peut imaginer toutefois la réticence de ces différents acteurs à la tenue d’une telle conférence, la participation de plusieurs organisations professionnelles aux table-rondes organisées par le Ministère de l’Agriculture à l’été 2015 ayant donné lieu à une enquête de la Commission européenne.

Surtout, le projet de loi Sapin II offrirait au président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires un nouveau rôle d’alerte. Ce dernier pourrait en effet saisir le président du Tribunal de commerce lorsqu’il constate qu’un dirigeant d’une société commerciale de transformation agricole ou de commercialisation de produits alimentaires n’a pas déposé ses comptes au Tribunal de commerce dans les conditions et délais légaux prévus aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du Code de commerce (les sociétés coopératives agricoles ne seraient pas concernées par ce dispositif applicable aux seules sociétés commerciales). Une fois saisi par le président de l’Observatoire, le président du Tribunal de commerce adresserait alors à la société agroalimentaire une injonction de déposer ses comptes à bref délai sous astreinte.

Le montant maximal de l’astreinte journalière (à compter de la date prévue par l’injonction) serait fixé, par jour de retard, à 2 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par la société commerciale au titre de son activité de transformation de produits agricoles ou de commercialisation des produits alimentaires.

Ce renforcement des sanctions à l’encontre des entreprises agroalimentaires qui ne déposeraient pas leurs comptes avait déjà été envisagé au sein des propositions du rapport précité sur l’avenir des filières d’élevage.

L’INDICATION DU PRIX D’ACHAT DES PRODUITS AGRICOLES SOUMIS A L’OBLIGATION DE CONTRACTUALISATION DANS LES CONDITIONS GENERALES DE VENTE DES INDUSTRIELS (ARTICLE 31  BIS C)

A l’initiative du gouvernement, les députés ont adopté un amendement visant à mettre en œuvre un dispositif dont l’objet est d’assurer « une meilleure prise en compte de l’impact des négociations commerciales sur les prix agricoles, et une plus grande responsabilisation des acteurs » selon les termes de l’exposé des motifs de celui-ci (amendement n° 1449 adopté par l’Assemblée nationale en séance publique).

Pour atteindre cet objectif, le sixième alinéa de l’article L. 441-6 du Code de commerce serait complété par les dispositions suivantes : « Les conditions générales de vente relatives à des produits alimentaires comportant un ou plusieurs produits agricoles non transformés devant faire l’objet d’un contrat écrit, en application soit du décret en Conseil d’Etat prévu au I de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime, soit d’un accord interprofessionnel étendu prévu au III du même article L. 631-24, indiquent le prix prévisionnel moyen proposé par le vendeur au producteur de ces produits agricoles pendant leur durée d’application. ».

Les industriels de l’agroalimentaire transformateurs de produits alimentaires fabriqués à partir de produits agricoles bruts entrant dans le champ de la contractualisation instituée par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 (le secteur ovin ; le secteur du lait de vache et de chèvre ; le secteur des fruits et légumes frais) seraient les opérateurs visés par cette nouvelle obligation de transparence tarifaire.

A l’avenir, pour les produits issus de ces filières soumises à la contractualisation obligatoire, les conditions générales de vente de l’industriel devraient ainsi mentionner le prix prévisionnel moyen proposé par ce dernier aux producteurs. L’exposé des motifs de l’amendement précise cette notion de « prix prévisionnel moyen » en indiquant que celui-ci dépendra du « prix de cession des produits alimentaires que l’acheteur est prêt à consentir in fine au vendeur ». Là encore, le gouvernement s’est inspiré de l’une des propositions du rapport d’information du 30 mars 2016 sur l’avenir des filières d’élevage dans lequel Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit proposaient de rendre obligatoire la mention d’un prix de référence pouvant être payé à l’exploitant agricole dans les conditions générales de vente des entreprises agroalimentaires destinées à la grande distribution.

Les sénateurs ont précisé que les critères et modalités de détermination de ce prix prévisionnel devraient faire référence à un ou plusieurs indicateurs publics de coût de production en agriculture et à un ou plusieurs indices publics des prix des produits agricoles ou alimentaires, établis par accords interprofessionnels ou, à défaut, par l’Observatoire de la formation des prix et des marges. Selon les promoteurs de l’amendement à l’origine de ces nouvelles dispositions, il s’agit d’encourager un processus de formation des prix prenant en compte, dans un premier temps, les coûts de production agricoles, la négociation entre industriels et grande distribution intervenant dans un second temps (amendement n° 146 adopté par le Sénat en séance publique avec avis défavorable du gouvernement – Stéphane Le Foll a clairement exprimé son opposition à des indices liés uniquement aux coûts de production).

Pour le ministre de l’Agriculture, la mention du prix payé au producteur par l’industriel dans les négociations avec la grande distribution constituait le pendant de l’intégration dans les contrats LMAP entre producteurs et premiers metteurs en marché d’ « un ou plusieurs indices publics du prix de vente des principaux produits fabriqués par l’acheteur ». Cependant, les sénateurs ont supprimé cette référence au « mix produit ». Pourtant, ce diptyque aurait induit, selon le ministre, un changement profond des règles de négociations telles qu’elles résultent encore aujourd’hui de la LME : il s’agissait ainsi de prendre en compte dans les contrats entre industriels et distributeurs les conséquences de leur négociation tarifaire pour les producteurs.

L’INDICATION DU PRIX OU DES CRITERES ET MODALITES DE DETERMINATION DU PRIX D’ACHAT DES PRODUITS AGRICOLES NON TRANSFORMES DANS LES CONTRATS DE MDD DE MOINS D’UN AN CONCLUS DANS LES FILIERES SOUMISES A LA CONTRACTUALISATION (ARTICLE 31 BIS C)

Un nouvel article L. 441-10 serait intégré au Code de commerce qui imposerait, dans les contrats conclus entre un fournisseur et un distributeur portant sur la conception et la production de produits alimentaires selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur, la mention du prix ou des critères et modalités de détermination du prix d’achat des produits agricoles non transformés entrant dans la composition de ces produits (amendement n° 1449 adopté par l’Assemblée nationale en séance publique).

Cette nouvelle obligation de transparence ne s’appliquerait toutefois qu’au contrat de moins d’un an conclu dans les filières où la contractualisation est obligatoire en vertu de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime (le secteur ovin ; le secteur du lait de vache et de chèvre ; le secteur des fruits et légumes frais).

Les prix mentionnés au sein de ces contrats passés pour la fabrication d’un produit sous marque de distributeur devront également faire référence à des indicateurs publics de coûts de production en agriculture et à un ou plusieurs indices publics des prix des produits agricoles ou alimentaires, établis par accords interprofessionnels ou, à défaut, par l’Observatoire de la formation des prix et des marges. Les sénateurs à l’origine de cette précision souhaitent éviter que les prix agricoles mentionnés dans les contrats MDD soient trop bas et sans lien avec les coûts de production constatés en amont par les agriculteurs (amendement n° 147 adopté par le Sénat en séance publique avec avis défavorable du gouvernement).

LA MODIFICATION DU REGIME DES CONVENTIONS RECAPITULATIVES DES ARTICLES L. 441-7 ET L. 441-7-1 DU CODE DE COMMERCE (ARTICLES 31 TER A ET 31 TER)

S’inspirant d’une proposition du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) figurant dans son avis du 11 mai 2016 sur les circuits de distribution des produits alimentaires, le projet de loi Sapin II envisage d’autoriser la signature de conventions récapitulatives pluriannuelles, d’une durée maximale de trois ans et ce, aussi bien dans le régime classique de l’article L. 441-7 du Code de commerce que dans le régime dérogatoire applicable aux relations entre les grossistes et leurs fournisseurs, créé par la loi Macron du 6 août 2015, figurant à l’article L. 441-7-1 du Code de commerce (amendement du Gouvernement n° 1450 rectifié, adopté en séance publique par l’Assemblée nationale).

A partir du 1er janvier 2018, ainsi que les sénateurs l’ont précisé, les parties auront donc la possibilité de conclure une convention écrite annuelle, biennale ou triennale. Le gouvernement à l’origine de cet amendement souhaite offrir plus de souplesse aux opérateurs économiques, ce qui permettrait aux cocontractants de se donner de la visibilité dans leur partenariat et d’accroitre leur capacité d’investissement.

Outre cette modification substantielle dans la fréquence des négociations, les députés avaient décidé que la date butoir de signature du 1er mars serait avancée au 1er février (sous-amendement de Mme Annick Le Loch n° 1514 adopté en séance publique par l’Assemble nationale). L’auteur de cet amendement estimait qu’il était raisonnable de déconnecter la fin des négociations commerciales de la tenue du Salon de l’agriculture. Cependant les Sénateurs sont revenus sur ce nouveau calendrier des négociations commerciales et ont rétabli la date du 1er mars, précédée, trois mois plus tôt, par l’envoi des CGV aux distributeurs. Les Sénateurs ont entendu les craintes de certains opérateurs économiques, notamment les PME, en particulier les grossistes, pour qui la date du 1er février aurait posé de gros problèmes d’organisation.

Le texte adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat prévoit également un assouplissement du principe d’intangibilité du prix convenu mais seulement en qui concerne les conventions conclues pour une durée supérieure à un an. Les conventions biennales ou triennales devront en effet comporter une clause fixant les modalités selon lesquelles le prix convenu pourra être révisé. Ces modalités de révision du prix pourront être assises sur des indices publics reflétant l’évolution du prix des facteurs de production (amendement du gouvernement n° 1450 rectifié adopté en séance publique). Quid en revanche de la révision du prix convenu pour une convention récapitulative signée pour un an seulement ? Le mutisme du texte sur ce point est conforme à la position actuelle de la DGCCRF selon laquelle le prix convenu ne peut s’entendre que d’un prix chiffré et non comme des modalités de révision de celui-ci ; autrement dit, le prix convenu ne pourrai pas être modifié par le fournisseur, sauf accord préalable de son client distributeur. Cette position de l’Administration est toutefois critiquable notamment au regard de l’ordonnance du 10 février 2016 qui réforme le droit des contrats et, plus particulièrement, du nouvel article 1164 du Code civil qui offre la possibilité pour le fournisseur de fixer unilatéralement le prix au sein des contrat-cadres, sous réserve de tout abus.

Ainsi, le cinquième alinéa du I de l’article L. 441-7 et l’avant-dernier alinéa de l’article L. 441-7-1 du Code de commerce disposeraient de façon identique ce qui suit : « La convention écrite est conclue pour une durée d’un an, de deux ans ou de trois ans, au plus tard le 1er mars de l’année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier. Lorsqu’elle est conclue pour une durée de deux ou de trois ans, elle doit fixer les modalités selon lesquelles le prix convenu est révisé. Ces modalités peuvent prévoir la prise en compte d’un ou de plusieurs indices publics reflétant l’évolution du prix des facteurs de production. »

Par ailleurs, l’article L. 441-7 du Code de commerce serait enrichi de nouvelles dispositions visant à limiter la dérive des nouveaux instruments de promotion (NIP) pour certains produits agricoles. Le huitième alinéa de l’article L. 441-7 du Code de commerce consacré à ces avantages à destination du consommateur serait complété par la phrase suivante : « Pour les produits agricoles mentionnés à l’article L. 441-2-1, le lait et les produits laitiers, ces avantages ne peuvent dépasser 30% de la valeur du barème des prix unitaires, frais de gestion compris. » (amendements identiques n° 98, 369, 1094, 1108 et 1207 adoptés en séance publique par les députés avec avis défavorable du Gouvernement). Pour mémoire, les produits agricoles auxquels s’appliquent les dispositions de l’article L. 441-2-1 du Code de commerce sont les suivants : fruits et légumes, à l’exception des pommes de terre de conservation, destinés à être vendus à l’état frais au consommateur ; viandes fraîches, congelées ou surgelées de volailles et de lapins ; œufs ; miels (ces produits sont listés au sein du décret n° 2007-257 du 26 février 2007 portant modification du décret n° 2005-524 du 20 mai 2005 fixant la liste des produits agricoles mentionnés à l’article L. 441-2-1 du Code de commerce).

Enfin, les sénateurs ont adopté une mesure qui tend à ce que l’industriel ne supporte pas le coût de ce qu’il a accompli au titre du développement d’un produit vendu sous MDD. L’article L. 441-7 du Code de commerce serait ainsi complété par un paragraphe III dont les dispositions seraient les suivantes : « Les coûts de création des nouveaux produits alimentaires sous marque de distributeur, des cahiers des charges, des analyses et audits autres que ceux effectués par les entreprises agroalimentaires restent à la charge du distributeur et ne peuvent être imposés aux entreprises » (amendement n° 344 rectifié bis, adopté en séance publique par le Sénat avec avis défavorable du gouvernement). La portée de ces dispositions est toutefois limitée : les vrais contrats de MDD sont des contrats d’entreprises qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 441-7 du Code de commerce (cf. avis de la CEPC n° 15-09).

Notons que les députés avaient envisagé que le nom du rédacteur ou du négociateur soit indiqué dans chaque écrit utilisé dans les négociations entre fournisseurs et acheteurs. Les Sénateurs ont supprimé cette nouveauté qui avait pour effet de brouiller les responsabilités en cas de manquement aux dispositions de l’article L. 441-7 du Code de commerce.

L’INTRODUCTION DE NOUVELLES PRATIQUES RESTRICTIVES DE CONCURRENCE A L’ARTICLE L. 442-6 DU CODE DE COMMERCE (ARTICLES 31 BIS D, 31 TER ET 31 QUATER)

Le 1° de l’article L. 442-6, I du Code de commerce érige en faute le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ». Suivent quelques exemples. Ceux-ci seraient enrichis de deux nouveaux cas : d’une part, le financement d’une « opération de promotion commerciale » et, d’autre part, « la rémunération de services rendus par une centrale internationale regroupant des distributeurs ».

La Commission des affaires économiques du Sénat a également ajouté une nouvelle pratique à la liste du I de l’article 442-6 du Code de commerce : serait sanctionné civilement, le fait d’imposer une clause de révision du prix, en application de l’article L. 441-7 ou de l’article L. 441-7-1, se référant à un ou plusieurs indices publics sans rapport direct avec les produits ou les prestations de services qui sont l’objet de la convention. Elle a par ailleurs étendu cette solution aux clauses de renégociation du prix, en application de l’article L. 441-8 du Code de commerce, dans les contrats d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la vente de produits dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires.

Enfin,  serait intégré  aux cas spéciaux  de nullité de plein  droit prévus à  l’article L. 442-6-II  le fait de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des pénalités pour retard de livraison en cas de force majeure ». On peut toutefois s’interroger sur le bien-fondé de ce nouvel abus : la force majeure n’a-t-elle pas pour effet de suspendre l’exécution des obligations entre les parties ?

L’INTRODUCTION D’UN DELAI DE PAIEMENT DEROGATOIRE POUR LE « GRAND EXPORT » ? (ARTICLE 36)

Les députés avaient souhaité faire figurer, aux articles L. 441-6 et L. 443-1 du Code de commerce, une dérogation aux délais légaux de paiement en vigueur depuis l’adoption de la LME. Celle-ci devait concerner les achats effectués en franchise de la TVA (en application de l’article 275 du Code général des impôts) de biens destinés à faire l’objet d’une livraison en l’état hors de l’Union européenne.

L’objectif de cette dérogation était de tenir compte de la situation particulière des entreprises de négoce tournées vers la « grande exportation ». En effet, ces entreprises sont sujettes, pour leur trésorerie, à un effet de ciseau résultant d’un décalage significatif entre les délais dans lesquels elles doivent payer leurs fournisseurs (notamment français) et les délais dans lesquels elles sont elles-mêmes payées par leurs clients installés hors de l’Union européenne.

Le dispositif voté par l’Assemblée nationale concernait les entreprises exportant hors de l’Union européenne, à l’exclusion des grandes entreprises et s’inspirait de la proposition de loi visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités du « grand export », adopté par l’Assemblée nationale à l’unanimité le 13 mai 2015.

En commissions, les députés avaient d’ailleurs repris le texte de cette proposition qui instituait un délai de paiement de 90 jours lorsque l’achat était effectué auprès d’une micro-entreprise ou d’une PME et de 120 jours lorsque l’achat était effectué auprès d’une entreprise de taille intermédiaire ou d’une grande entreprise. Toutefois, sous l’impulsion du gouvernement, les députés avaient abandonné cette distinction et avaient opté pour un délai maximum de paiement unique, fixé à 90 jours à compter de la date d’émission de la facture.

Cependant, les sénateurs ont totalement supprimé du projet de loi cette dérogation aux délais de paiement. La position de la Commission mixte paritaire sera guettée avec attention sur ce point.

N.B : En vertu de la rédaction de l’article 36 du projet de loi telle qu’elle résultait de l’adoption du texte voté par l’Assemblée nationale, cette dérogation « grand export » remplaçait la dérogation actuelle s’agissant des secteurs d’activité présentant un caractère saisonnier particulièrement marqué qui figure aujourd’hui au dernier alinéa du I de l’article L. 441-6 du Code de commerce. Rappelons que l’article 36 prévoyait ce qui suit : « Le livre IV du Code de commerce est ainsi modifié : 1° L’article L. 441-6 est ainsi modifié : a) (nouveau) Le dernier alinéa du I est ainsi rédigé : « Par dérogation au neuvième alinéa du présent I, le délai convenu entre les parties pour le paiement des achats effectués en franchise de la taxe sur la valeur ajoutée, en application de l’article 275 du Code général des impôts, de biens destinés à faire l’objet d’une livraison en l’état hors de l’Union européenne ne peut dépasser quatre-vingt-dix jours à compter de la date d’émission de la facture. Le délai convenu entre les parties […]» ». Nous pensons qu’il s’agit là d’une erreur de légistique. L’exposé des motifs des amendements à l’origine de ce délai de paiement dérogatoire pour le grand export ne précise aucunement que la dérogation pour les secteurs d’activité présentant un caractère saisonnier particulièrement marqué est supprimée. De la même manière, les débats en commissions et en séance publique ne font mention d’une quelconque suppression de cette dérogation. Une telle suppression serait d’autant plus incompréhensible que la loi Macron du 6 août 2015 a pérennisé cette dérogation et que le décret n°2015-1484 du 16 novembre 2015 fixant la liste des secteurs concernés par cette dérogation est entré en vigueur le 1er janvier dernier !

LE RENFORCEMENT DES SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET CIVILES (ARTICLES 31 BIS E, 31 QUINQUIES ET 36)

Le projet de loi Sapin II renforce les sanctions administratives en cas de manquement aux dispositions relatives aux délais de paiement. Ainsi, le plafond de l’amende administrative applicable à la personne morale en cas de non-respect des délais de paiement mentionnés aux articles L. 441-6 et L. 443-1 du Code de commerce serait porté de 375 000 € à 2 millions d’euros. Sur ce point, le Ministre de l’Economie, Emmanuel Macron a précisé qu’à l’encontre des PME et TPE, la DGCCRF n’appliquera pas des sanctions « mortelles », c’est-à-dire disproportionnées eu égard à leur chiffre d’affaires.

Le V de l’article L. 465-2 du même code serait également modifié afin de prévoir une publication systématique des sanctions en cas de manquement aux règles relatives aux délais de paiement.

En outre, suivant en cela les recommandations du rapport d’information du 30 mars 2016 sur l’avenir des filières d’élevage de Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit et l’Avis du Conseil Economique Social et Environnemental du 11 mai 2016 sur les circuits de distribution des produits alimentaires, les députés et les sénateurs ont décidé que la publication de la décision de condamnation ou un extrait de celle-ci serait à l’avenir systématiquement ordonnée par le juge. Pour les promoteurs de cette modification, la publication automatique des condamnations renforcerait l’efficacité de la sanction. Elle permettrait de compléter celles-ci et de les rendre plus dissuasives en jouant sur la réputation des entreprises. On peut toutefois douter de ce raisonnement : quelle serait dorénavant la force d’une sanction si toutes les sanctions sont publiées ? Ne posséderaient-elles pas alors toutes la même valeur ?

Relevons enfin deux points de désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale.

D’une part, les députés avait adopté un amendement ayant pour effet d’augmenter le montant de l’amende civile encourue par les personnes morales en cas de pratiques restrictives de concurrence listées à l’article L. 442-6 du Code de commerce. Cette amende, qui peut être demandée par le ministre en charge de l’économie et le ministère public, devait être portée à 5 millions d’euros en lieu et place des 2 millions d’euros actuellement en vigueur. Rappelons toutefois que cette amende peut d’ores et déjà être déplafonnée par le juge : celle-ci peut être portée au triple des sommes indûment versées ou atteindre 5% du chiffre d’affaire réalisé sur le territoire français par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques prohibées ont été mises en œuvre (loi Macron du 6 août 2015). Les sénateurs ont rétabli le plafond de 2 millions d’euros.

D’autre part, l’article 36 du projet de loi tel que voté par l’Assemblée nationale modifiait le VII de l’article L. 465-2 du Code de commerce en supprimant la règle limitant l’exécution, à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, des amendes administratives prononcées en cas de cumul de celles-ci au maximum légal le plus élevé. Cette modification devait s’appliquer toutefois à l’ensemble des amendes administratives prévues au titre IV du livre IV du Code de commerce, et non uniquement à celles sanctionnant des manquements aux règles relatives aux délais de paiement. Estimant que la suppression de cette règle pouvait entraîner des sanctions disproportionnées, les sénateurs ont voté le rétablissement de celle-ci.

La Commission mixte paritaire qui devrait se réunir mi-septembre aura donc pour mission de trouver une position commune sur ces deux points comme sur tous les autres points d’achoppement entre l’Assemblée nationale et le Sénat. A défaut de compromis entre députés et sénateurs, le projet de loi retournera pour une nouvelle lecture successivement devant l’Assemblée nationale et le Sénat. Dans ce cas, à l’instar de la procédure législative ayant présidé à l’adoption de la loi Macron du 6 août 2015, l’engagement de la procédure accélérée par le gouvernement pour le projet de loi Sapin II aura été une nouvelle fois sans effet.

A l’issue de son adoption en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit « projet de loi Sapin II », comporte une quinzaine d’articles visant à améliorer la transparence dans les négociations commerciales et ce, principalement dans le secteur agroalimentaire.

Après les lois Hamon du 17 mars 2014 et Macron du 6 août 2015, ce projet de loi entend une nouvelle fois adapter le régime des négociations commerciales tel que les fournisseurs et les distributeurs le connaissent depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008. Ce texte renforce également le dispositif de contractualisation obligatoire dans certains secteurs agricoles instauré par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche dite « LMAP ».

LE RENFORCEMENT DU DISPOSITIF DE CONTRACTUALISATION DANS LE DOMAINE AGRICOLE (ARTICLE 30 C)

L’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime, créé par la LMAP, a instauré pour certains produits agricoles le principe d’une contractualisation obligatoire entre producteurs et acheteurs par l’extension ou l’homologation d’un accord interprofessionnel ou, à défaut, par un décret.

A ce jour, seul le secteur ovin (par un accord interprofessionnel étendu par un arrêté du 15 février 2011) et le secteur du lait de vache ainsi que celui des fruits et légumes frais (en application de deux décrets du 30 décembre 2010), font l’objet d’accords contractuels pris en vertu de ces dispositions. Le secteur du lait de chèvre devrait être la prochaine filière soumise à une contractualisation obligatoire (un accord interprofessionnel signé le 17 mai 2016 est en attente d’une homologation et d’une extension par le ministre de l’Agriculture).

Au sein de ces filières, les contrats entre producteurs et premiers metteurs en marché doivent comporter un certain nombre de clauses listées au quatrième alinéa de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime et notamment des clauses relatives aux prix ou à des critères et modalités de détermination du prix.

A l’avenir, ces critères et modalités de détermination du prix devraient obligatoirement faire référence à des indicateurs publics de coûts de production en agriculture et à des indices publics des prix sur les marchés publiés par l’Observatoires de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ou établis par accords interprofessionnels. Ces indicateurs et indices pourront être nationaux, régionaux ou européens, voire les trois à la fois. Lorsque les contrats individuels découlent d’un accord-cadre, les fluctuations constatées sur les indicateurs ou indices publics retenus par le contrat devront être transmis mensuellement par l’acheteur à l’organisation de producteurs ou à l’association d’organisations de producteurs. Le projet de loi Sapin II reprend ainsi les dispositions de l’article premier de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire adoptée en seconde lecture par le Sénat le 23 mars dernier.

Les députés souhaitaient que ces contrats fassent aussi référence à « un ou plusieurs indices publics du prix de vente des principaux produits fabriqués par l’acheteur » (amendement n° 1358 adopté à l’unanimité par les députés en séance publique avec avis favorable du Gouvernement). Présentée comme « une petite révolution dans la formation du prix » par Monsieur le député Dominique Potier, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, la mention d’un tel indice public dans les contrats aurait permis de prendre en compte, dans le prix de cession entre le producteur et l’acheteur, la valorisation des produits fabriqués par ce dernier à partir des produits agricoles achetés, ce qui est usuellement désignée sous le terme de « mix produit ». Autrement dit, le prix payé au producteur devait être reconnecté au prix de marché du produit fabriqué par l’industriel, à la hausse comme à la baisse, selon les négociations avec les distributeurs. Cependant, les sénateurs ont supprimé cette référence aux indices publics du prix de vente des principaux produits fabriqués par l’acheteur en estimant que celle-ci était contradictoire avec la première partie de l’article 30 C, dont l’objectif est la prise en compte des coûts de production, le risque étant de faire du prix payé au producteur une résultante de la négociation en aval (amendement n° 142 adopté en séance publique par les sénateurs avec avis défavorable du Gouvernement).

Relevons également que de nombreux amendements déposés devant les deux chambres avaient pour objet d’instaurer une date butoir dans la négociation entre les producteurs et leurs acheteurs. Certains parlementaires ont ainsi proposé que cette négociation en amont devait se terminer avant le 30 novembre afin de précéder l’envoi des conditions générales de vente des industriels aux distributeurs. Toutefois, ni l’Assemblée nationale, ni le Sénat n’ont adopté une telle mesure.

Par ailleurs, le projet de loi Sapin II renforce le rôle des organisations de producteurs et des associations d’organisations de producteurs en instaurant une obligation de conclusion d’un accord-cadre entre ces derniers et chaque acheteur, préalablement à la conclusion de contrats individuels entre l’acheteur et chaque producteur. Ce contrat-cadre devrait comporter l’ensemble des clauses mentionnées actuellement au quatrième alinéa de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime et préciser en outre les éléments suivants :

la quantité totale et la qualité à livrer par les producteurs membres de l’organisation ou les producteurs représentés par l’association ainsi que la répartition de cette quantité entre les producteurs ;

les modalités de cession des contrats et de répartition des quantités à livrer entre les producteurs membres de l’organisation ou les producteurs représentés par l’association, sauf en ce qui concerne les contrats laitiers dont la cession est interdite (cf. infra nouvel article L. 631-24-1 du code rural et de la pêche maritime créé par l’article 30 du projet de loi) ;

les règles organisant les relations entre l’acheteur et l’organisation de producteurs ou l’association d’organisations de producteurs ;

les  modalités de la négociation annuelle sur les volumes et  le prix ou les modalités de détermination du prix entre l’acheteur et l’organisation de producteurs ou l’association d’organisations de producteurs. Il serait ainsi prévu un temps de négociation entre l’organisation de producteurs ou l’association d’organisations de producteurs et son acheteur une fois par an. Cette négociation dont la date devra être prévue dans l’accord-cadre doit être tenue en amont de l’envoi des Conditions Générales de Vente (CGV) des industriels aux distributeurs. Selon les promoteurs de ces nouvelles dispositions, cette négociation permettrait aux parties de négocier un prix objectif et les volumes d’achat afin d’éviter des négociations en cours d’année pour requalifier les volumes et le prix payé au producteur (amendement n° COM-4 adopté en commission des affaires économiques du Sénat).

Eventuellement, le contrat-cadre signé entre l’organisation de producteurs et l’association d’organisations de producteurs et l’acheteur, pourra préciser, en sus, les modalités de gestion des écarts entre le volume ou la quantité à livrer et le volume ou la quantité effectivement livré par les producteurs membres de l’organisation ou les producteurs représentés par l’association.

Le non-respect de ces nouvelles dispositions sur l’accord-cadre est susceptible des mêmes sanctions que le non-respect des dispositions sur la contractualisation obligatoire, prévues à l’article L. 631-25 du Code rural et de la pêche maritime soit une amende administrative pour l’acheteur d’un montant plafonné à 75 000 euros par producteur concerné.

Les députés ont en outre prévu qu’un certain nombre d’informations devrait être transmis mensuellement par l’acheteur à l’organisation de producteurs ou à l’association d’organisations de producteurs. Il en serait ainsi des « éléments figurant sur les factures individuelles des producteurs membres ayant donné un mandat de facturation à l’acheteur » et des « indices et données utilisés dans les modalités de détermination du prix d’achat aux producteurs. ». La transmission de ces informations permettrait à l’organisation de producteurs ou à l’association d’organisations de producteurs de contrôler l’application des formules de calcul des prix (amendement n° 1357 adopté par l’Assemblée nationale en séance publique avec avis favorable du Gouvernement).

Par ailleurs, les sénateurs ont ajouté un nouvel alinéa à l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime dont l’objectif est d’encadrer le recours au mandat de facturation. En vertu de ces nouvelles dispositions, celui-ci devrait systématiquement faire l’objet d’un acte écrit autonome du contrat de cession des produits agricoles. Ce mandat serait renouvelé chaque année par tacite reconduction et le producteur pourrait y mettre un terme à tout moment sous réserve de respecter un préavis d’un mois (amendement n° 143 adopté en séance publique avec avis favorable du Gouvernement).

Enfin, tout litige né lors de la conclusion ou de l’exécution d’un tel contrat-cadre devrait faire l’objet d’une procédure de médiation avant toute saisine du juge (amendement n° 1173 adopté en séance publique avec avis favorable du Gouvernement), sauf si le contrat en dispose autrement ou en cas de recours à l’arbitrage, ainsi que le prévoit actuellement le premier alinéa de l’article L. 631-28 du Code rural et de la pêche maritime. Les parties pourront à cet égard se rapprocher du médiateur des relations commerciales agricoles qui se voit doter de la compétence pour examiner cet accord-cadre.

L’INTERDICTION DE LA CESSIBILITE MARCHANDE DES CONTRATS LAITIERS (ARTICLE 30)

Le projet de loi Sapin II entend prohiber temporairement la cession des obligations nées des contrats portant sur l’achat de lait conclus en application de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime, reprenant ainsi une proposition émise par Madame le député Annick Le Loch et Monsieur le député Thierry Benoit dans leur rapport d’information du 30 mars 2016 sur l’avenir des filières d’élevage.

Cette interdiction figurerait au nouvel article L. 631-24-1 du Code rural et de la pêche maritime dont les dispositions sont expressément mentionnées comme étant d’ordre public. Ainsi, pendant une période de sept ans à compter de la publication de la loi Sapin II, les contrats d’achat de lait et les obligations nées de ces derniers ne pourront, à peine de nullité, faire l’objet d’une cession, totale ou partielle, à titre onéreux.

Dans le projet de loi initial présenté par le gouvernement, seul le lait de vache était concerné par cette prohibition. Les sénateurs ont toutefois décidé d’étendre ce dispositif à toute la filière laitière. Or, ainsi que l’a rappelé le ministre de l’Agriculture en séance publique au Sénat, l’extension de cette mesure à l’ensemble de la filière se heurte au principe de la liberté contractuelle. Selon Stéphane Le Foll, la justification de l’incessibilité de ce type de contrat ne serait envisageable que dans le cas précis du lait de vache en raison de la sortie des quotas laitiers, pour les sept années à venir, qui constitue un élément spécifique permettant un tel dispositif. Le risque de censure par le Conseil constitutionnel de cette nouvelle disposition n’est donc pas à exclure.

LE RENOUVELLEMENT DES MISSIONS DE L’OBSERVATOIRE DE LA FORMATION DES PRIX ET DES MARGES DES PRODUITS ALIMENTAIRES (ARTICLES 31 ET 31 BIS G)

Les missions de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires sont fixées à l’article L. 682-1 du Code rural et de la pêche maritime (ex-article L. 692-1 depuis le 1er juillet 2016 – cf. ordonnance n° 2016-391 du 31 mars 2016 recodifiant les dispositions relatives à l’outre-mer du Code rural et de la pêche maritime).

Alors qu’aujourd’hui cet observatoire se contente d’étudier les coûts de production, de transformation et de distribution dans l’ensemble de la chaîne de commercialisation des produits agricoles, les députés et les sénateurs souhaitent qu’il réalise à l’avenir un examen de la répartition de la valeur ajoutée entre les différents acteurs de cette chaîne, les résultats obtenus devant être comparés à l’échelle des principaux pays européens. Pour ce faire, l’Observatoire pourra s’adresser directement aux entreprises afin de récolter les données nécessaires à l’exercice de ses missions.

Avant de remettre son rapport annuel au Parlement, l’Observatoire devrait en outre transmettre aux commissions parlementaires compétentes des informations sur la situation des filières agricoles et agroalimentaires.

Pour chacune des filières étudiées par l’Observatoire, une conférence publique de filière serait désormais organisée avant le 31 décembre de chaque année sous l’égide de l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer. Cette conférence de filière réunirait les représentants des organisations de producteurs, des entreprises et des coopératives de transformation industrielle des produits concernés, de la distribution et de la restauration hors domicile et aurait pour objet d’examiner la situation de l’année en cours et les perspectives d’évolution des marchés agricoles et agroalimentaires concernés pour l’année à venir. Cette réunion de l’ensemble des représentants des acteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire devra aboutir à une estimation de l’évolution des coûts de production en agriculture pour l’année n+1. Les filières concernées et la composition de la conférence seront définies par un décret (nouvel article L. 631-27-1 du Code rural et de la pêche maritime). On peut imaginer toutefois la réticence de ces différents acteurs à la tenue d’une telle conférence, la participation de plusieurs organisations professionnelles aux table-rondes organisées par le Ministère de l’Agriculture à l’été 2015 ayant donné lieu à une enquête de la Commission européenne.

Surtout, le projet de loi Sapin II offrirait au président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires un nouveau rôle d’alerte. Ce dernier pourrait en effet saisir le président du Tribunal de commerce lorsqu’il constate qu’un dirigeant d’une société commerciale de transformation agricole ou de commercialisation de produits alimentaires n’a pas déposé ses comptes au Tribunal de commerce dans les conditions et délais légaux prévus aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du Code de commerce (les sociétés coopératives agricoles ne seraient pas concernées par ce dispositif applicable aux seules sociétés commerciales). Une fois saisi par le président de l’Observatoire, le président du Tribunal de commerce adresserait alors à la société agroalimentaire une injonction de déposer ses comptes à bref délai sous astreinte.

Le montant maximal de l’astreinte journalière (à compter de la date prévue par l’injonction) serait fixé, par jour de retard, à 2 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par la société commerciale au titre de son activité de transformation de produits agricoles ou de commercialisation des produits alimentaires.

Ce renforcement des sanctions à l’encontre des entreprises agroalimentaires qui ne déposeraient pas leurs comptes avait déjà été envisagé au sein des propositions du rapport précité sur l’avenir des filières d’élevage.

L’INDICATION DU PRIX D’ACHAT DES PRODUITS AGRICOLES SOUMIS A L’OBLIGATION DE CONTRACTUALISATION DANS LES CONDITIONS GENERALES DE VENTE DES INDUSTRIELS (ARTICLE 31  BIS C)

A l’initiative du gouvernement, les députés ont adopté un amendement visant à mettre en œuvre un dispositif dont l’objet est d’assurer « une meilleure prise en compte de l’impact des négociations commerciales sur les prix agricoles, et une plus grande responsabilisation des acteurs » selon les termes de l’exposé des motifs de celui-ci (amendement n° 1449 adopté par l’Assemblée nationale en séance publique).

Pour atteindre cet objectif, le sixième alinéa de l’article L. 441-6 du Code de commerce serait complété par les dispositions suivantes : « Les conditions générales de vente relatives à des produits alimentaires comportant un ou plusieurs produits agricoles non transformés devant faire l’objet d’un contrat écrit, en application soit du décret en Conseil d’Etat prévu au I de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime, soit d’un accord interprofessionnel étendu prévu au III du même article L. 631-24, indiquent le prix prévisionnel moyen proposé par le vendeur au producteur de ces produits agricoles pendant leur durée d’application. ».

Les industriels de l’agroalimentaire transformateurs de produits alimentaires fabriqués à partir de produits agricoles bruts entrant dans le champ de la contractualisation instituée par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 (le secteur ovin ; le secteur du lait de vache et de chèvre ; le secteur des fruits et légumes frais) seraient les opérateurs visés par cette nouvelle obligation de transparence tarifaire.

A l’avenir, pour les produits issus de ces filières soumises à la contractualisation obligatoire, les conditions générales de vente de l’industriel devraient ainsi mentionner le prix prévisionnel moyen proposé par ce dernier aux producteurs. L’exposé des motifs de l’amendement précise cette notion de « prix prévisionnel moyen » en indiquant que celui-ci dépendra du « prix de cession des produits alimentaires que l’acheteur est prêt à consentir in fine au vendeur ». Là encore, le gouvernement s’est inspiré de l’une des propositions du rapport d’information du 30 mars 2016 sur l’avenir des filières d’élevage dans lequel Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit proposaient de rendre obligatoire la mention d’un prix de référence pouvant être payé à l’exploitant agricole dans les conditions générales de vente des entreprises agroalimentaires destinées à la grande distribution.

Les sénateurs ont précisé que les critères et modalités de détermination de ce prix prévisionnel devraient faire référence à un ou plusieurs indicateurs publics de coût de production en agriculture et à un ou plusieurs indices publics des prix des produits agricoles ou alimentaires, établis par accords interprofessionnels ou, à défaut, par l’Observatoire de la formation des prix et des marges. Selon les promoteurs de l’amendement à l’origine de ces nouvelles dispositions, il s’agit d’encourager un processus de formation des prix prenant en compte, dans un premier temps, les coûts de production agricoles, la négociation entre industriels et grande distribution intervenant dans un second temps (amendement n° 146 adopté par le Sénat en séance publique avec avis défavorable du gouvernement – Stéphane Le Foll a clairement exprimé son opposition à des indices liés uniquement aux coûts de production).

Pour le ministre de l’Agriculture, la mention du prix payé au producteur par l’industriel dans les négociations avec la grande distribution constituait le pendant de l’intégration dans les contrats LMAP entre producteurs et premiers metteurs en marché d’ « un ou plusieurs indices publics du prix de vente des principaux produits fabriqués par l’acheteur ». Cependant, les sénateurs ont supprimé cette référence au « mix produit ». Pourtant, ce diptyque aurait induit, selon le ministre, un changement profond des règles de négociations telles qu’elles résultent encore aujourd’hui de la LME : il s’agissait ainsi de prendre en compte dans les contrats entre industriels et distributeurs les conséquences de leur négociation tarifaire pour les producteurs.

L’INDICATION DU PRIX OU DES CRITERES ET MODALITES DE DETERMINATION DU PRIX D’ACHAT DES PRODUITS AGRICOLES NON TRANSFORMES DANS LES CONTRATS DE MDD DE MOINS D’UN AN CONCLUS DANS LES FILIERES SOUMISES A LA CONTRACTUALISATION (ARTICLE 31 BIS C)

Un nouvel article L. 441-10 serait intégré au Code de commerce qui imposerait, dans les contrats conclus entre un fournisseur et un distributeur portant sur la conception et la production de produits alimentaires selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur, la mention du prix ou des critères et modalités de détermination du prix d’achat des produits agricoles non transformés entrant dans la composition de ces produits (amendement n° 1449 adopté par l’Assemblée nationale en séance publique).

Cette nouvelle obligation de transparence ne s’appliquerait toutefois qu’au contrat de moins d’un an conclu dans les filières où la contractualisation est obligatoire en vertu de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime (le secteur ovin ; le secteur du lait de vache et de chèvre ; le secteur des fruits et légumes frais).

Les prix mentionnés au sein de ces contrats passés pour la fabrication d’un produit sous marque de distributeur devront également faire référence à des indicateurs publics de coûts de production en agriculture et à un ou plusieurs indices publics des prix des produits agricoles ou alimentaires, établis par accords interprofessionnels ou, à défaut, par l’Observatoire de la formation des prix et des marges. Les sénateurs à l’origine de cette précision souhaitent éviter que les prix agricoles mentionnés dans les contrats MDD soient trop bas et sans lien avec les coûts de production constatés en amont par les agriculteurs (amendement n° 147 adopté par le Sénat en séance publique avec avis défavorable du gouvernement).

LA MODIFICATION DU REGIME DES CONVENTIONS RECAPITULATIVES DES ARTICLES L. 441-7 ET L. 441-7-1 DU CODE DE COMMERCE (ARTICLES 31 TER A ET 31 TER)

S’inspirant d’une proposition du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) figurant dans son avis du 11 mai 2016 sur les circuits de distribution des produits alimentaires, le projet de loi Sapin II envisage d’autoriser la signature de conventions récapitulatives pluriannuelles, d’une durée maximale de trois ans et ce, aussi bien dans le régime classique de l’article L. 441-7 du Code de commerce que dans le régime dérogatoire applicable aux relations entre les grossistes et leurs fournisseurs, créé par la loi Macron du 6 août 2015, figurant à l’article L. 441-7-1 du Code de commerce (amendement du Gouvernement n° 1450 rectifié, adopté en séance publique par l’Assemblée nationale).

A partir du 1er janvier 2018, ainsi que les sénateurs l’ont précisé, les parties auront donc la possibilité de conclure une convention écrite annuelle, biennale ou triennale. Le gouvernement à l’origine de cet amendement souhaite offrir plus de souplesse aux opérateurs économiques, ce qui permettrait aux cocontractants de se donner de la visibilité dans leur partenariat et d’accroitre leur capacité d’investissement.

Outre cette modification substantielle dans la fréquence des négociations, les députés avaient décidé que la date butoir de signature du 1er mars serait avancée au 1er février (sous-amendement de Mme Annick Le Loch n° 1514 adopté en séance publique par l’Assemble nationale). L’auteur de cet amendement estimait qu’il était raisonnable de déconnecter la fin des négociations commerciales de la tenue du Salon de l’agriculture. Cependant les Sénateurs sont revenus sur ce nouveau calendrier des négociations commerciales et ont rétabli la date du 1er mars, précédée, trois mois plus tôt, par l’envoi des CGV aux distributeurs. Les Sénateurs ont entendu les craintes de certains opérateurs économiques, notamment les PME, en particulier les grossistes, pour qui la date du 1er février aurait posé de gros problèmes d’organisation.

Le texte adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat prévoit également un assouplissement du principe d’intangibilité du prix convenu mais seulement en qui concerne les conventions conclues pour une durée supérieure à un an. Les conventions biennales ou triennales devront en effet comporter une clause fixant les modalités selon lesquelles le prix convenu pourra être révisé. Ces modalités de révision du prix pourront être assises sur des indices publics reflétant l’évolution du prix des facteurs de production (amendement du gouvernement n° 1450 rectifié adopté en séance publique). Quid en revanche de la révision du prix convenu pour une convention récapitulative signée pour un an seulement ? Le mutisme du texte sur ce point est conforme à la position actuelle de la DGCCRF selon laquelle le prix convenu ne peut s’entendre que d’un prix chiffré et non comme des modalités de révision de celui-ci ; autrement dit, le prix convenu ne pourrai pas être modifié par le fournisseur, sauf accord préalable de son client distributeur. Cette position de l’Administration est toutefois critiquable notamment au regard de l’ordonnance du 10 février 2016 qui réforme le droit des contrats et, plus particulièrement, du nouvel article 1164 du Code civil qui offre la possibilité pour le fournisseur de fixer unilatéralement le prix au sein des contrat-cadres, sous réserve de tout abus.

Ainsi, le cinquième alinéa du I de l’article L. 441-7 et l’avant-dernier alinéa de l’article L. 441-7-1 du Code de commerce disposeraient de façon identique ce qui suit : « La convention écrite est conclue pour une durée d’un an, de deux ans ou de trois ans, au plus tard le 1er mars de l’année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier. Lorsqu’elle est conclue pour une durée de deux ou de trois ans, elle doit fixer les modalités selon lesquelles le prix convenu est révisé. Ces modalités peuvent prévoir la prise en compte d’un ou de plusieurs indices publics reflétant l’évolution du prix des facteurs de production. »

Par ailleurs, l’article L. 441-7 du Code de commerce serait enrichi de nouvelles dispositions visant à limiter la dérive des nouveaux instruments de promotion (NIP) pour certains produits agricoles. Le huitième alinéa de l’article L. 441-7 du Code de commerce consacré à ces avantages à destination du consommateur serait complété par la phrase suivante : « Pour les produits agricoles mentionnés à l’article L. 441-2-1, le lait et les produits laitiers, ces avantages ne peuvent dépasser 30% de la valeur du barème des prix unitaires, frais de gestion compris. » (amendements identiques n° 98, 369, 1094, 1108 et 1207 adoptés en séance publique par les députés avec avis défavorable du Gouvernement). Pour mémoire, les produits agricoles auxquels s’appliquent les dispositions de l’article L. 441-2-1 du Code de commerce sont les suivants : fruits et légumes, à l’exception des pommes de terre de conservation, destinés à être vendus à l’état frais au consommateur ; viandes fraîches, congelées ou surgelées de volailles et de lapins ; œufs ; miels (ces produits sont listés au sein du décret n° 2007-257 du 26 février 2007 portant modification du décret n° 2005-524 du 20 mai 2005 fixant la liste des produits agricoles mentionnés à l’article L. 441-2-1 du Code de commerce).

Enfin, les sénateurs ont adopté une mesure qui tend à ce que l’industriel ne supporte pas le coût de ce qu’il a accompli au titre du développement d’un produit vendu sous MDD. L’article L. 441-7 du Code de commerce serait ainsi complété par un paragraphe III dont les dispositions seraient les suivantes : « Les coûts de création des nouveaux produits alimentaires sous marque de distributeur, des cahiers des charges, des analyses et audits autres que ceux effectués par les entreprises agroalimentaires restent à la charge du distributeur et ne peuvent être imposés aux entreprises » (amendement n° 344 rectifié bis, adopté en séance publique par le Sénat avec avis défavorable du gouvernement). La portée de ces dispositions est toutefois limitée : les vrais contrats de MDD sont des contrats d’entreprises qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 441-7 du Code de commerce (cf. avis de la CEPC n° 15-09).

Notons que les députés avaient envisagé que le nom du rédacteur ou du négociateur soit indiqué dans chaque écrit utilisé dans les négociations entre fournisseurs et acheteurs. Les Sénateurs ont supprimé cette nouveauté qui avait pour effet de brouiller les responsabilités en cas de manquement aux dispositions de l’article L. 441-7 du Code de commerce.

L’INTRODUCTION DE NOUVELLES PRATIQUES RESTRICTIVES DE CONCURRENCE A L’ARTICLE L. 442-6 DU CODE DE COMMERCE (ARTICLES 31 BIS D, 31 TER ET 31 QUATER)

Le 1° de l’article L. 442-6, I du Code de commerce érige en faute le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ». Suivent quelques exemples. Ceux-ci seraient enrichis de deux nouveaux cas : d’une part, le financement d’une « opération de promotion commerciale » et, d’autre part, « la rémunération de services rendus par une centrale internationale regroupant des distributeurs ».

La Commission des affaires économiques du Sénat a également ajouté une nouvelle pratique à la liste du I de l’article 442-6 du Code de commerce : serait sanctionné civilement, le fait d’imposer une clause de révision du prix, en application de l’article L. 441-7 ou de l’article L. 441-7-1, se référant à un ou plusieurs indices publics sans rapport direct avec les produits ou les prestations de services qui sont l’objet de la convention. Elle a par ailleurs étendu cette solution aux clauses de renégociation du prix, en application de l’article L. 441-8 du Code de commerce, dans les contrats d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la vente de produits dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires.

Enfin,  serait intégré  aux cas spéciaux  de nullité de plein  droit prévus à  l’article L. 442-6-II  le fait de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des pénalités pour retard de livraison en cas de force majeure ». On peut toutefois s’interroger sur le bien-fondé de ce nouvel abus : la force majeure n’a-t-elle pas pour effet de suspendre l’exécution des obligations entre les parties ?

L’INTRODUCTION D’UN DELAI DE PAIEMENT DEROGATOIRE POUR LE « GRAND EXPORT » ? (ARTICLE 36)

Les députés avaient souhaité faire figurer, aux articles L. 441-6 et L. 443-1 du Code de commerce, une dérogation aux délais légaux de paiement en vigueur depuis l’adoption de la LME. Celle-ci devait concerner les achats effectués en franchise de la TVA (en application de l’article 275 du Code général des impôts) de biens destinés à faire l’objet d’une livraison en l’état hors de l’Union européenne.

L’objectif de cette dérogation était de tenir compte de la situation particulière des entreprises de négoce tournées vers la « grande exportation ». En effet, ces entreprises sont sujettes, pour leur trésorerie, à un effet de ciseau résultant d’un décalage significatif entre les délais dans lesquels elles doivent payer leurs fournisseurs (notamment français) et les délais dans lesquels elles sont elles-mêmes payées par leurs clients installés hors de l’Union européenne.

Le dispositif voté par l’Assemblée nationale concernait les entreprises exportant hors de l’Union européenne, à l’exclusion des grandes entreprises et s’inspirait de la proposition de loi visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités du « grand export », adopté par l’Assemblée nationale à l’unanimité le 13 mai 2015.

En commissions, les députés avaient d’ailleurs repris le texte de cette proposition qui instituait un délai de paiement de 90 jours lorsque l’achat était effectué auprès d’une micro-entreprise ou d’une PME et de 120 jours lorsque l’achat était effectué auprès d’une entreprise de taille intermédiaire ou d’une grande entreprise. Toutefois, sous l’impulsion du gouvernement, les députés avaient abandonné cette distinction et avaient opté pour un délai maximum de paiement unique, fixé à 90 jours à compter de la date d’émission de la facture.

Cependant, les sénateurs ont totalement supprimé du projet de loi cette dérogation aux délais de paiement. La position de la Commission mixte paritaire sera guettée avec attention sur ce point.

N.B : En vertu de la rédaction de l’article 36 du projet de loi telle qu’elle résultait de l’adoption du texte voté par l’Assemblée nationale, cette dérogation « grand export » remplaçait la dérogation actuelle s’agissant des secteurs d’activité présentant un caractère saisonnier particulièrement marqué qui figure aujourd’hui au dernier alinéa du I de l’article L. 441-6 du Code de commerce. Rappelons que l’article 36 prévoyait ce qui suit : « Le livre IV du Code de commerce est ainsi modifié : 1° L’article L. 441-6 est ainsi modifié : a) (nouveau) Le dernier alinéa du I est ainsi rédigé : « Par dérogation au neuvième alinéa du présent I, le délai convenu entre les parties pour le paiement des achats effectués en franchise de la taxe sur la valeur ajoutée, en application de l’article 275 du Code général des impôts, de biens destinés à faire l’objet d’une livraison en l’état hors de l’Union européenne ne peut dépasser quatre-vingt-dix jours à compter de la date d’émission de la facture. Le délai convenu entre les parties […]» ». Nous pensons qu’il s’agit là d’une erreur de légistique. L’exposé des motifs des amendements à l’origine de ce délai de paiement dérogatoire pour le grand export ne précise aucunement que la dérogation pour les secteurs d’activité présentant un caractère saisonnier particulièrement marqué est supprimée. De la même manière, les débats en commissions et en séance publique ne font mention d’une quelconque suppression de cette dérogation. Une telle suppression serait d’autant plus incompréhensible que la loi Macron du 6 août 2015 a pérennisé cette dérogation et que le décret n°2015-1484 du 16 novembre 2015 fixant la liste des secteurs concernés par cette dérogation est entré en vigueur le 1er janvier dernier !

LE RENFORCEMENT DES SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET CIVILES (ARTICLES 31 BIS E, 31 QUINQUIES ET 36)

Le projet de loi Sapin II renforce les sanctions administratives en cas de manquement aux dispositions relatives aux délais de paiement. Ainsi, le plafond de l’amende administrative applicable à la personne morale en cas de non-respect des délais de paiement mentionnés aux articles L. 441-6 et L. 443-1 du Code de commerce serait porté de 375 000 € à 2 millions d’euros. Sur ce point, le Ministre de l’Economie, Emmanuel Macron a précisé qu’à l’encontre des PME et TPE, la DGCCRF n’appliquera pas des sanctions « mortelles », c’est-à-dire disproportionnées eu égard à leur chiffre d’affaires.

Le V de l’article L. 465-2 du même code serait également modifié afin de prévoir une publication systématique des sanctions en cas de manquement aux règles relatives aux délais de paiement.

En outre, suivant en cela les recommandations du rapport d’information du 30 mars 2016 sur l’avenir des filières d’élevage de Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit et l’Avis du Conseil Economique Social et Environnemental du 11 mai 2016 sur les circuits de distribution des produits alimentaires, les députés et les sénateurs ont décidé que la publication de la décision de condamnation ou un extrait de celle-ci serait à l’avenir systématiquement ordonnée par le juge. Pour les promoteurs de cette modification, la publication automatique des condamnations renforcerait l’efficacité de la sanction. Elle permettrait de compléter celles-ci et de les rendre plus dissuasives en jouant sur la réputation des entreprises. On peut toutefois douter de ce raisonnement : quelle serait dorénavant la force d’une sanction si toutes les sanctions sont publiées ? Ne posséderaient-elles pas alors toutes la même valeur ?

Relevons enfin deux points de désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale.

D’une part, les députés avait adopté un amendement ayant pour effet d’augmenter le montant de l’amende civile encourue par les personnes morales en cas de pratiques restrictives de concurrence listées à l’article L. 442-6 du Code de commerce. Cette amende, qui peut être demandée par le ministre en charge de l’économie et le ministère public, devait être portée à 5 millions d’euros en lieu et place des 2 millions d’euros actuellement en vigueur. Rappelons toutefois que cette amende peut d’ores et déjà être déplafonnée par le juge : celle-ci peut être portée au triple des sommes indûment versées ou atteindre 5% du chiffre d’affaire réalisé sur le territoire français par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques prohibées ont été mises en œuvre (loi Macron du 6 août 2015). Les sénateurs ont rétabli le plafond de 2 millions d’euros.

D’autre part, l’article 36 du projet de loi tel que voté par l’Assemblée nationale modifiait le VII de l’article L. 465-2 du Code de commerce en supprimant la règle limitant l’exécution, à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, des amendes administratives prononcées en cas de cumul de celles-ci au maximum légal le plus élevé. Cette modification devait s’appliquer toutefois à l’ensemble des amendes administratives prévues au titre IV du livre IV du Code de commerce, et non uniquement à celles sanctionnant des manquements aux règles relatives aux délais de paiement. Estimant que la suppression de cette règle pouvait entraîner des sanctions disproportionnées, les sénateurs ont voté le rétablissement de celle-ci.

La Commission mixte paritaire qui devrait se réunir mi-septembre aura donc pour mission de trouver une position commune sur ces deux points comme sur tous les autres points d’achoppement entre l’Assemblée nationale et le Sénat. A défaut de compromis entre députés et sénateurs, le projet de loi retournera pour une nouvelle lecture successivement devant l’Assemblée nationale et le Sénat. Dans ce cas, à l’instar de la procédure législative ayant présidé à l’adoption de la loi Macron du 6 août 2015, l’engagement de la procédure accélérée par le gouvernement pour le projet de loi Sapin II aura été une nouvelle fois sans effet.

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