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La publication de l’ordonnance de transposition de la directive ECN+ marque l’achèvement du processus de modernisation du droit français de la concurrence !

L’article 37, I de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (ci-après la « loi DDADUE ») avait habilité le Gouvernement à transposer par ordonnance, dans un délai de six mois à compter de sa publication, soit jusqu’au 4 juin 2021, les dispositions de la directive 2019/1 ECN+ non encore transcrite en droit français (ci-après la « Directive »).  

Le 27 mai 2021, l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 (ci-après « l’Ordonnance ») transposant la Directive a été publiée au Journal officiel. Un projet de loi de ratification devra ensuite être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance, sous peine de voir celle-ci caduque (article 37, II loi DDADUE). A noter que pendant ce délai de 3 mois, l’ordonnance est en vigueur.

Cette ordonnance constitue la dernière étape du processus de modernisation du droit de la concurrence. En effet, les articles 17 à 22 de la directive ECN+ du 11 décembre 2018 relatifs au programme de clémence ont déjà été transposés via le décret n°2021-568 du 10 mai 2021.  

Pour connaître en détail les nouveaux pouvoirs des ANC et de l’Autorité de la concurrence française, nous vous invitons à consulter notre article récemment publié sur notre site (ici).  Le renforcement du caractère dissuasif des sanctions ayant aussi fait l’objet d’une brève sur notre site.

Nous aborderons dans la présente note les modifications substantielles apportées par l’Ordonnance en matière de procédure devant l’Autorité et de sanctions pécuniaires qui décourageront certainement plus efficacement les associations d’entreprises à commettre des infractions aux règles de concurrence…

  • S’agissant de la procédure :
  • Le XVIII de l’article 2 de l’Ordonnance  donne désormais la possibilité à l’Autorité, à l’instar de la Commission européenne, d’imposer aux entreprises ou associations d’entreprises des mesures correctives de nature structurelle pour autant qu’elles soient proportionnées à l’infraction commise et nécessaires pour faire cesser effectivement l’infraction. Le I° de l’article L. 464-2 du code de commerce est ainsi modifié.
  • L’article L. 464-1 du code de commerce tel que modifié par l’Ordonnance autorise l’Autorité à se saisir d’office pour imposer des mesures conservatoires « si la pratique en cause porte une atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou le cas échéant, à l’entreprise plaignante ». Il est également prévu que l’Autorité peut rendre contraignant, modifier ou compléter les mesures d’engagements prises par les entreprises (article L. 464-2, I du code de commerce tel que modifié).
  • Dans le cadre d’enquêtes simples ou d’opérations de visites et saisies (enquêtes lourdes) l’article 2, V et VI,1° de l’Ordonnance a introduit la possibilité pour les agents de l’Autorité et de la DGCCRF d’accéder « aux informations accessibles aux personnes et entreprises interrogées, et pouvant être sur des supports numériques (« courriels, messageries instantanées ») quel que soit le lieu de stockage (« nuage informatique et serveurs ») » (rapport au président de la République).  

Dans ce cadre, les articles L. 450-3 et L. 450-4 du code de commerce tels que modifiés par l’Ordonnance précisent que ces agents pourront « accéder aux clés de chiffrement » . Selon la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le chiffrement est une méthode « qui consiste à protéger ses documents en les rendant illisibles par toute personne n’ayant pas accès à une clé dite de déchiffrement » (site de la CNIL). Le chiffrement peut être utile pour conserver des documents confidentiels sur un support qui pourrait être volé (clé USB, ordinateur portable, etc.) ou sur un ordinateur partagé avec des personnes qui ne doivent pas pouvoir y accéder.

A noter aussi que l’Ordonnance modifie l’alinéa 6 de l’article 450-4 du code de commerce afin de préciser le régime des voies de recours contre les ordonnances du juge de la liberté et de la détention concernant l’autorisation ou le déroulement des opérations de visites et de saisies :  le ministre de l’Économie ou l’Autorité peut désormais interjeter appel contre une ordonnance de refus d’autorisation et former un pourvoi en cassation le cas échéant.

  • L’Ordonnance précise explicitement que les pratiques dont l’Autorité est saisie « peuvent être établies par tout mode de preuve » (nouvel article L. 463-1 alinéa 2 du code de commerce) comme en matière pénale. Ainsi, le considérant 73 de la Directive, explique que seront admis à titre de preuves les enregistrements dissimulés, pour autant qu’il ne s’agisse pas de l’unique source de preuve. Cette conception est conforme à la jurisprudence communautaire : dans l’affaire Goldfish n° T-54/14, le Tribunal de l’Union européenne avait été saisi d’une demande d’annulation de la décision de la Commission qui s’était appuyée sur des enregistrements secrets audio de conversations téléphoniques réalisés par un concurrent pourtant régulièrement recueillis par la Commission. Dans un arrêt du 8 septembre 2016, le Tribunal, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), a dans un premier temps constaté l’illégalité des enregistrements de conversations téléphoniques en ce qu’ils caractérisent une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale. Cependant, le Tribunal a finalement jugé que « même s’il fallait considérer que les enregistrements en cause ont été effectués illégalement par l’une des entreprises concurrentes des requérantes, c’est à bon droit que la Commission les a utilisés en tant que moyens de preuve dans le cadre de la décision attaquée, pour constater une violation de l’article 101 TFUE » (§73)  dans la mesure où ces enregistrements « n’ont pas constitué l’élément unique ayant forgé la conviction «de la Commission quant à la culpabilité des requérantes » (§67). Le Tribunal valide ainsi l’utilisation des enregistrements par la Commission.

Si ce raisonnement s’inscrit à rebours de la solution issue de la Cour de cassation qui considère en principe que l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve (Cass. ass. plén. 7-1-2011 n° 09-14.316 et 09-14.667), l’Autorité dans une décision n° 16-D-21 du 6 octobre 2016, avait retenu la même conception du mode d’administration de la preuve dans la mesure ou l’élément contesté ne constituait pas le seul moyen de preuve retenu pour motiver la condamnation (§109 et 110 de la décision).

  • S’agissant des sanctions, les modifications substantielles apportées par l’Ordonnance sont les suivantes :
  • Les critères de détermination du montant des sanctions seront désormais alignés avec ceux pratiqués par la Commission européenne à savoir la gravité et la durée de l’infraction. Ces deux critères ont été introduits explicitement comme éléments d’appréciation de la sanction au I° de l’article 464-2 du code de commerce tel que modifié par l’Ordonnance, dont le troisième aliéna dispose désormais que  « les sanctions pécuniaires sont appréciées au regard de la gravité et de la durée de l’infraction, de la situation de l’association d’entreprises ou de l’entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l’entreprise appartient et de l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. ». On remarquera que la référence à la notion de « dommage à l’économie » est supprimée. Le rapport au président de la République accompagnant l’Ordonnance explique que cette suppression permet « de lever toute ambigüité à l’égard de la notion de réparation d’un dommage subi par une victime d’une pratique anticoncurrentielle ».

A noter que l’article 6 de l’Ordonnance précise que cette modification n’est applicable qu’aux procédures pour lesquelles des griefs sont notifiés, en application de l’article L. 463-2 du code de commerce, après l’entrée en vigueur de l’Ordonnance, soit le 27 mai 2021.

  • Avant l’entrée en vigueur de l’Ordonnance, l’article L.464-2 alinéa 4 du code de commerce prévoyait un plafond de sanction de 3 millions d’euros pour les « contrevenants qui ne sont pas des entreprises » ce qui est le cas des organisations professionnelles. Dorénavant, le plafond est identique à celui prévu pour les entreprises, soit 10 % du chiffre d’affaires mondial consolidé hors taxe.
  • Par ailleurs, le nouvel article L. 464-2 du code de commerce dispose que lorsque l’infraction commise par l’organisme professionnel a trait aux activités de ses membres, le plafond sera désormais égal à 10% du chiffre d’affaires annuel cumulé des membres actifs sur le marché concerné. Pour aider les organismes professionnels à se conformer le plus rapidement possible aux règles de concurrence, l’Autorité a publié fin janvier 2021 une étude spécifique aux organismes professionnels.

Le VI de l’article L. 464-2 du code de commerce tel que modifié prévoit un principe de responsabilité financière des membres d’une association d’entreprises qui se décline de la façon suivante :

  • lorsqu’une sanction pécuniaire est infligée à une association d’entreprises en tenant compte du chiffre d’affaires de ses membres et que l’association n’est pas solvable, l’Autorité de la concurrence peut enjoindre à cette association de lancer à ses membres un appel à contributions pour couvrir le montant de la sanction pécuniaire ;
  • dans le cas où ces contributions ne sont pas versées intégralement à l’association d’entreprises dans un délai fixé par l’Autorité de la concurrence, celle-ci peut exiger directement le paiement de la sanction pécuniaire par toute entreprise dont les représentants étaient membres des organes décisionnels de cette association.
  • lorsque cela est nécessaire pour assurer le paiement intégral de l’amende, après avoir exigé le paiement par ces entreprises, l’Autorité de la concurrence peut également exiger le paiement du montant impayé de l’amende par tout membre de l’association qui était actif sur le marché sur lequel l’infraction a été commise. Ce paiement n’est toutefois pas exigé des entreprises qui démontrent qu’elles n’ont pas appliqué la décision litigieuse de l’association et qui en ignoraient l’existence ou qui s’en sont activement désolidarisées avant l’ouverture de la procédure.

En vertu de l’article 6 de l’Ordonnance, ces sanctions ne sont pas applicables aux pratiques anticoncurrentielles ayant pris fin avant l’entrée en vigueur l’Ordonnance. Toutefois, dans les cas où leur application a pour effet de réduire le montant maximal de la sanction encourue par l’association d’entreprises concernée, elles s’appliquent immédiatement aux procédures de sanction en cours.

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